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« Le Brunswickois, avec ses 150 000 mercenaires, n’a pu arriver jusqu’à Chalon, et, abstraction faite de la trahison de Longwy et de Verdun, il n’a pu conquérir une seule place forte. Les étendards victorieux de la République l’ont rejeté hors des frontières ; il a dû fuir devant la famine et la peste, et pendant qu’il essaie de rallier et de mettre en sûreté les débris de ses troupes découragées, l’année de la liberté déborde au delà des frontières : toute la Savoie, Nice, Spire, Worms, Mayence et Francfort tombent presque sans résistance aux mains des Français. Mons ouvre ses portes au vainqueur Dumouriez. Trêves peut à peine attendre l’arrivée du brave Wimpfen, et dans la région montagneuse de l’autre côté du Rhin, les Hessois et les Prussiens fuient devant Custine, citoyen et général, et devant les soldats de la liberté. Toutes les forces autrichiennes dans les Pays-Bas sont sur le point de se dissoudre par la désertion ou de fuir dans le Luxembourg ; les débris des troupes prussiennes doivent choisir entre la retraite en Westphalie ou la famine à Coblentz.

« Quelles espérances peut donc offrir la continuation de la campagne aux ennemis de la liberté ? Toute l’Allemagne est complètement épuisée de subsistances de toutes sortes et des moyens de vie qui sont indispensables à l’entretien de grandes armées. Les caisses de l’Autriche sont vides, et son crédit tombera plus bas qu’il y a un an les assignats de France ; les assignats remontent et le crédit de l’Autriche ne se relèvera jamais. La Prusse, un petit royaume qui n’a été élevé au premier rang que par des opérations de finances et une tension extrême de tous les ressorts, a sacrifié ses meilleures troupes, vidé son trésor, le véritable secret de sa grandeur artificielle, et son roi ne sait ni épargner, ni combattre, ni penser comme son oncle Frédéric ; il a renvoyé les sages serviteurs de Frédéric, et Herzberg, qui pouvait le sauver, est chassé par des visionnaires et par des maîtresses de cour. L’impératrice russe a surtout mis à profit la belle occasion de tromper ses deux rivaux, et pendant qu’ils faisaient leur folle expédition en France, elle mettait toute la Pologne en vasselage ; maintenant ils voient leur faute et ne savent guère comment ils se garderont de cette femme colossale. — La Saxe, la Bavière, le Hanovre observent une sage neutralité, qui est maintenant plus nécessaire que jamais. La Suède, depuis sa guerre avec la Russie, est tombée dans l’impuissance. Le gouvernement monarchique du Danemark cherche sagement à durer en allégeant le fardeau du peuple et en assurant la liberté de la presse ; l’Italie fait signe à ses libérateurs, et l’Espagne est si gravement endettée qu’elle ne peut rien tenter contre la France. Les Anglais libres envoient aux Français libres leur approbation joyeuse. Voilà la situation de l’Europe.

« Il n’y a que la folie furieuse qui puisse, en cet état de choses, conseiller la continuation de la guerre contre la France. À la vérité, on me dira qu’aujourd’hui on ne peut attendre des cabinets que fureur et démence ! Et je reconnais que jusqu’ici leur conduite est en effet une manifestation de délire.