plus ardentes ou plus amères de Forster, de Hoffmann et de Wedekind, avaient arboré la cocarde tricolore. Mais le peuple, dans l’ensemble, restait morne ou tout au moins réservé. Était-il déconcerté par l’imprévu des événements ? Gardait-il au fond du cœur quelque haine et quelque méfiance pour ces Français qu’on lui avait dit pillards et cruels ?
Était-il troublé par le vertige de lâcheté et de fuite qui, à l’approche de l’ennemi, avait emporté l’Électeur, les nobles, les émigrés aux dents longues, tous ceux qui étaient les chefs désignés de la ville et qui l’avaient compromise et désertée ? Ou encore était-il surpris de la tenue plus que simple, délabrée et pauvre, des soldats de la France ? Ils étaient en haillons, souvent les pieds nus ; et ils portaient leur viande et leur pain embrochés à leur baïonnette. À un peuple d’antichambre et de cathédrale, habitué à des dorures d’église et de domesticité, cela paraissait, étrange. Et il ne savait traduire que par le silence la confusion extrême de ses impressions. Ô généreux penseurs d’Allemagne, fervents disciples de Kant qui vous hâtez vers la liberté, quel terrible fardeau de servitude somnolente et défiante vous aurez à soulever !
Forster pourtant ne désespérait pas d’animer le peuple de Mayence et du pays rhénan à la liberté. Une « société d’amis du peuple » se forma sur le modèle des Jacobins, et, avec l’assentiment de Custine, s’installa dans la splendide salle de concert du palais épiscopal.
« Aucun symbole n’aurait pu être mieux calculé que celui-là pour agir rapidement et fortement sur le peuple, pour flatter son amour-propre et pour changer en mépris sa vénération ancienne pour les idoles d’hier. »
Du haut de cette « tribune de sans-culottes », les révolutionnaires mayençais instruisirent tous les jours le procès de l’Électeur et de l’ancien régime. Les griefs ne manquaient pas : quels étourdis et quels lâches que les hommes qui avaient ainsi provoqué la France, qui avaient appelé sur Mayence l’invasion et qui, à l’approche de l’étranger, sans même essayer un geste de défense, avaient fui ignominieusement ! Avec quelle verve Forster les montre entassant dans les coffres tous leurs objets précieux, leurs bijoux, leur or, leurs étoles splendides, tout leur luxe laïque et sacerdotal ! L’Électeur avait fui dans un carrosse dont il avait d’abord effacé les armoiries, et il se cachait maintenant on ne sait en quel coin obscur de l’Allemagne ! Pour emporter tous ces trésors, toute une flottille avait été mobilisée sur le Rhin. Ah ! quelle activité maintenant, quel mouvement sur ce grand fleuve dont le gouvernement des prêtres avait fait une voie déserte et inutile qu’aucun commerce n’animait. C’est la lâcheté des puissants, c’est leur fuite éperdue qui seule, ô ironie, donnait quelque animation au fleuve jusque-là nonchalant ! Et quelle ignorance, quelle frivolité chez tous ces hommes !
Quand les Français s’étaient approchés de la ville, le gouverneur militaire avait cru que c’était une armée amie, l’armée de Condé. Pourquoi ? Parce