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rumeur d’intrigue, et qu’à la Cour de Prusse un parti remuant pousse à la guerre, à n’importe quelle guerre, à Liège, en France, pour arracher le roi au gouvernement de ses maîtresses. Voici que l’Électeur de Mayence, changeant de passion avec l’âge, ne demande plus aux vers voluptueux de l’Ardighello de Heinse de ranimer un peu sa force lassée, et passant de la galanterie à la politique, cherche à être le chef et l’inspirateur de la contre-révolution allemande. Les émigrés arrivent, bavards, voraces, insolents, se jetant sur les vivres et le Champagne, cajolant l’évêque et l’appelant « papa ». Le prix des vivres haussait sous cette fringale de gentilshommes affamés, et Forster était soulevé de dégoût et de colère. Et ce sont ces hommes qui prétendaient faire en Allemagne la loi et l’opinion ! C’est eux qui prétendaient dicter aux esprits libres ce qu’il fallait penser de la Révolution et de ses chefs ! Et le pamphlet déclamatoire de l’Anglais Burke contre la Révolution, reproduit, commenté, par toute la domesticité de plume des cours allemandes, donnait aux calomnies plates et à la sottise des émigrés je ne sais quel air d’éloquence et de profondeur !

Forster n’y tenait plus et dans les comptes rendus qu’il publiait de la littérature anglaise, il luttait contre Burke, il en dénonçait les sophismes au grand émoi de Heyne qui le voyait se risquer de plus en plus. N’importe ! que les destinées s’accomplissent !

Les nobles d’Allemagne se laissent griser ou effrayer par les paroles des nobles émigrés de France :

« Et vous aussi, vous devrez fuir, et vous aussi vous serez dépouillés, volés, brutalisés, si vous n’écrasez le nid des vipères jacobines qui vont partout en Europe se glisser au cœur des peuples et l’empoisonner. »

Guerre donc ! Et que la Révolution périsse ! Ah ! les insensés !

« Ils auraient pu, dit Forster, à force de prudence et de concessions, ajourner la Révolution de cent ans encore ; ils vont maintenant, par leurs provocations, l’avancer d’un demi-siècle. »

Et quelle fatuité ! Ils s’imaginent que la Révolution ne saura pas se défendre ! Non ; elle n’a pas d’armée régulière. Mais elle est forte de la confiance du peuple qui se lèvera tout entier pour la défendre. On affecte de regarder la Révolution comme un spectacle, comme une suite de manifestations théâtrales destinées à éblouir la nation. Mais la comédie est assez bien jouée puisque les paysans sont débarrassés dès maintenant de la moitié des charges qu’ils portaient. La Révolution a montré sa force, lorsqu’à la fuite du roi l’Assemblée a pris si tranquillement le pouvoir. Trop débonnaire Assemblée ! Elle a eu tort de laisser la royauté debout. C’est cette faiblesse qui accule maintenant le monde à la guerre. Cette guerre, la France saura la soutenir. Elle a l’enthousiasme, la force immense d’un peuple ardent et uni, la force de la richesse. On peut lui prendre ses colonies, Saint-Domingue et le reste :