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de la grande Fédération, qu’il a vu le pays presque tout entier, vibrant et confiant, de Boulogne-sur-Mer à la frontière allemande. Décidément ce n’est pas un feu d’artifice ; c’est une large lumière qui emplit l’horizon. À peine rentré à Mayence, le 13 juillet 1790, Forster écrit à Heinse :

« Mon rapide passage à travers la France a du moins suffi à me persuader qu’il n’est plus possible de penser à une contre-révolution. Tout est calme, tout promet aux nouvelles institutions les suites les meilleures. La vue de l’enthousiasme à Paris et surtout au Champ-de-Mars où l’on faisait les préparatifs pour la grande fête nationale, élève le cœur, parce qu’il est commun à toutes les classes du peuple, parce qu’il est tout entier dirigé vers le bien commun sans souci de l’intérêt particulier.

« Nous avons à souffrir de bien des choses, m’ont dit beaucoup de citoyens et nous sommes en ce moment même aux prises avec beaucoup de difficultés. Même notre fortune subit de sérieuses diminutions ; mais nous savons que nos enfants nous remercieront, car tout cela tournera à leur bien. » Et avec cette faculté d’illusion qui n’exclut pas une haute jouissance morale, ils concluent à un meilleur avenir. »

Avec Jean de Müller, Forster se livre davantage. Il lui écrit le 12 juillet (en français) :… « Témoin du redoublement d’enthousiasme dans cette nation intéressante, qui est aujourd’hui animée d’un feu, d’un zèle, d’un rayon de lumière enfin, qui ne paraît pas d’abord résulter de ses propres forces mais qui semble au contraire un de ces grands coups du sort inscrutable qui régit l’univers… »

Et le 18, dans une nouvelle lettre à Jean de Müller, c’est le même acte de foi, tranquille maintenant et profond, en la Révolution :

« Il m’a fait un plaisir infini de vous voir d’accord avec moi sur la solidité de la Révolution en France. Oui, monsieur, cela durera ! D’après tout ce que j’ai vu, j’en suis persuadé comme de mon existence. Il n’est pas possible que jamais il se fasse une contre-révolution ; car, effectivement, non seulement la nation est d’accord, mais elle est parfaitement éclairée et instruite sur ses intérêts. Les aristocrates attendent l’Assemblée nationale au moment où elle déterminera les impôts.

« — Le paysan, disent-ils, s’attend à un entier affranchissement ; lorsqu’il s’agira de payer comme auparavant, il deviendra furieux ; c’est alors que nous aurons beau jeu. »

« Je n’en crois rien ; le paysan a été suffisamment préparé dans toutes les contrées de la France à l’imposition d’une redevance égale et modérée ; la ridicule idée d’un État subsistant sans une contribution mutuelle n’est point entrée dans son esprit ; j’en suis sur, d’après ce que j’ai entendu dire à ceux qui avaient eu affaire aux gens du plat pays. »

Mais l’esprit si actif et si clair de Forster ne pouvait s’arrêter là. Puisque la victoire de la Révolution en France semblait assurée sans retour possible,