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tion de prendre. Je demande aussi que l’Assemblée nationale, qui, dans ce moment-ci est plutôt un grand comité militaire qu’un Corps législatif, envoie à l’instant et chaque jour douze commissaires au camp, non pour exhorter par de vains discours les citoyens à travailler, mais pour piocher eux-mêmes (Vifs applaudissements) ; car il n’est plus temps de discourir. Il faut piocher la fosse de nos ennemis, ou chaque pas qu’ils font en avant pioche la nôtre »

L’acclamation universelle des tribunes répondit à Vergniaud. Il semble, en cette matinée du 2 septembre, trois jours après l’arrêté de dissolution de la Commune, que le danger de la patrie a réconcilié la Commune et l’Assemblée ; c’est le grand orateur de la Gironde qui salue Paris comme le centre, comme le ressort de la résistance nationale.

Le plan de défense qu’indique Vergniaud avait-il été prévu par Dumouriez ? Celui-ci va manœuvrer pour arrêter la marche de l’ennemi, et il y réussira avec une dextérité merveilleuse. Mais sans doute il avait prévu le cas où les passages seraient forcés, où il ne pourrait arrêter l’invasion. Et alors il n’y avait pas d’autre tactique que de s’effacer pour suivre ensuite les armées ennemies précipitant leur marche sur Paris. Tout était perdu si Paris fléchissait. Tout était sauvé au contraire si Paris tenait bon et allait au-devant de l’ennemi, car celui-ci était pris entre les armées qui le suivaient et la capitale. Dumouriez sans doute avait esquissé ses vues générales de tactique devant ses amis. Et Vergniaud, après la capitulation de Longwy, après l’investissement de Verdun, ne croyant plus guère à la possibilité d’arrêter d’emblée l’invasion, se ralliait à un plan de défense où Paris jouait le premier rôle. Le grand rôle révolutionnaire de la capitale se doublait donc, dans le plan de la Gironde, d’un grand rôle militaire. Comment donc, à ce moment, entre Paris et la Gironde tout malentendu ne serait-il point effacé ?

Vergniaud, lorsqu’il protestait contre l’esprit de panique, voulait-il seulement affermir la résistance à l’étranger ? Ou bien voulait-il prévenir les terribles convulsions intérieures, les folies de meurtre et de sang que la peur déchaîne ? Ah ! quel orgueil pour la France révolutionnaire et quel triomphe pour l’humanité si l’ardente sérénité du grand orateur avait pu pénétrer tous les cœurs et tous les esprits ! Quelle gloire pour la Révolution si elle avait pu s’élever non seulement au-dessus de l’ennemi, mais au-dessus des fureurs intestines et des sinistres vengeances de la peur ! La parole de l’orateur girondin retentissait encore dans les âmes en larges vibrations quand Danton monta à la tribune et, comme dit le journal de Carra, parla « d’une voix formidable ». Sa parole plus brève, plus pressante, plus puissante encore que celle de Vergniaud fut humaine aussi et sans mélange de passions troubles.

« Il est bien satisfaisant, Messieurs, pour les ministres d’un peuple libre d’avoir à lui annoncer que la patrie va être sauvée. (Applaudissements). Tout s’émeut, tout s’ébranle, tout brûle de combattre

« Vous savez que Verdun n’est point encore au pouvoir de nos ennemis,