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allemande, malgré ses défauts indéniables, est dans l’ensemble infiniment plus favorable au repos intérieur et au bien-être de la nation, et beaucoup mieux adaptée à son caractère et à son degré de culture que la démocratie française, beaucoup plus favorable et beaucoup mieux adaptée que ne le serait celle-ci, si quelque enchanteur Merlin prenait sur lui, avec sa baguette magique, de faire de nous d’un coup une démocratie une et indivisible comme le roi d’Angleterre institue chevalier un brave Londonien de la Cité… Le meilleur pour chaque peuple n’est pas la législation idéale et parfaite, mais celle qu’il peut le mieux supporter. Quelles Furies nous pousseraient donc à cette folie de vouloir améliorer notre régime présent, quelque besoin qu’il ait d’être perfectionné en effet, par un moyen qui l’empirerait à coup sûr et qui amoncellerait sur notre patrie des maux incalculables ? Pourquoi achèterions-nous si cher, et avec un si énorme risque, ce que vraisemblablement nous pouvons attendre sans trouble, sans désorganisation, sans crimes et sans le sacrifice de la génération présente, du seul progrès des lumières et de la moralité parmi nous ? Au moins est-il sûr qu’avant de recourir à des moyens désespérés, il faut que nous ayons épuisé en vain tous les autres, et ce n’est pas de beaucoup notre cas.

« Les apôtres de la religion nouvelle n’ont qu’une idée très pauvre et très fausse de notre véritable situation, et ils se trompent eux-mêmes, par des imaginations tout à fait exagérées de ce qu’ils appellent notre esclavage. Il suffit cependant de la plus vulgaire connaissance de la Constitution de l’empire allemand et des cercles et des lois fondamentales de l’Empire, pour savoir que l’Empire allemand se compose d’un grand nombre d’États indépendants, qui n’ont au-dessus d’eux que la loi, et que depuis le chef élu de l’Empire jusqu’au plus petit conseiller de ville, il n’est personne en Allemagne qui puisse agir en effet contre la loi… »

À la bonne heure, et voilà un optimisme commode. Mais Wieland en prend bien à son aise avec le problème. Il ne veut pas de moyens « dangereux » et violents : c’est-à-dire qu’il ne veut pas que l’Allemagne s’associe à l’effort révolutionnaire de la France pour chasser ses princes, exproprier ses prélats ou ses nobles et s’organiser en République démocratique. Il attend les lents effets du progrès intellectuel et moral. Mais quoi ! si la France révolutionnaire pousse plus loin sa pointe, que fera-t-on contre elle ? et se lèvera-t-on pour la combattre ?

Wieland se dérobe ; pas plus qu’il ne consent à la Révolution allemande, il ne prêche la croisade allemande contre la Révolution française. Et cette molle et vague pensée résume bien l’inconsistance fondamentale de l’Allemagne, même à cette heure de crise aiguë. Au demeurant, il ne se dissimule pas la force de propagande et de pénétration de la pensée révolutionnaire.

« Il ne faudrait pourtant pas se laisser aller à une sécurité trop grande, quand à toutes les raisons de prudence, que nous avons d’ailleurs, se joint la pré-