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« L’auteur s’est placé sur une colline, d’où il croit découvrir au delà du chemin fait de son temps, mais il n’appelle hors du sentier battu aucun voyageur pressé, dont l’unique désir est d’atteindre bientôt le terme de sa route et de se reposer. Il ne prétend pas que le point de vue qui le charme doive avoir le même attrait pour d’autres yeux. »

Non, non, le temps n’est plus de ces méditations et contemplations solitaires. Voici la Révolution impérieuse qui, elle, prétend imposer à tous son point de vue. Elle n’admet pas qu’à sa lumière les yeux se refusent. Et elle veut hâter le pas de tous les hommes, non pas sur le chemin banal où s’affairait jusqu’ici leur ambition, mais sur les voies d’avenir qu’elle a vues du haut de la colline. Et vous, ô sage et noble esprit de Kant, qui, sans illusion et sans faiblesse, attendez le règne futur de la paix de chocs multipliés où s’épuisera l’égoïsme nécessaire et mauvais des hommes, n’allez-vous point trouver que le choc qui se prépare est trop redoutable et qu’il excède la mesure des forces humaines ? Voici une grande épreuve à votre grande philosophie de l’histoire. Et vous aussi, généreux et confiant Pestalozzi, il faut prendre parti à fond. Ce n’est plus du « bon seigneur » ou du « bon patron » qu’il est permis d’attendre le salut. Votre bon Junker lui-même, votre bon Arner est rayé par la France révolutionnaire de la liste des éligibles. Ainsi se précise et s’anime, pour toutes les consciences allemandes, le conflit intérieur.

Le doux et modéré Wieland, en son souci d’équilibre et de juste milieu, trouve que le coup est rude et que l’exigence est déplaisante.

« À en croire l’assurance répétée des Français, la libération des peuples de la terre, l’extirpation des tyrans, et s’il est possible, l’organisation de toute la race humaine en une seule démocratie fraternelle, est le seul but des armes de la nouvelle République… En particulier, les vues humanitaires du citoyen Custine, dans sa campagne militaire en Allemagne, vont beaucoup moins à châtier les princes coupables d’avoir soutenu les émigrés (c’est maintenant un souci accessoire), qu’à instruire les habitants de toutes les contrées occupées ou traversées de l’inaliénable souveraineté du peuple et de l’illégitimité du pouvoir des rois. »

Et si ce plan, aux yeux de Wieland, n’est pas sans grandeur, comme il est dangereux aussi et décevant ! Comme il tient peu compte des éléments sains de la Constitution allemande et des périls que déchaînerait une brusque transformation !

« Loin de moi, écrit-il, d’avoir assez peu de confiance dans la partie éclairée du peuple allemand et dans l’entendement naturellement sain des classes mêmes du peuple les moins cultivées, pour me figurer que ce plan captieux puisse réussir en Allemagne aussi aisément que le croient le citoyen Rœderer et d’autres du même genre : un plan qui procède si visiblement d’une ignorance complète de notre Constitution… La Constitution impériale