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cratie belgique de sophistiques hurlements, entrecoupés de mots profanés par eux de peuples, de souveraineté, etc. Dans le temps même que cette scène scandaleuse révoltait tous les républicains… etc. »

Après tout, ce n’était qu’un détail. Ce qui était grave, c’est que la France de la Révolution, au lieu de laisser à leur libre essor les peuples simplement délivrés de la crainte de leurs oppresseurs, fût obligée de se substituer à eux et de faire pour eux, sans eux, au besoin contre eux, leur Révolution. Terrible dilemme : ou laisser subsister autour de soi la servitude toujours menaçante ou faire de la liberté imposée une nouvelle forme de la tyrannie. La France expiait par là la magnifique et redoutable avance révolutionnaire qu’elle avait sur le monde. C’est une gloire, mais c’est un péril pour une nation de devancer les autres peuples. Il n’y a pas harmonie entre ses crises sociales et celles de l’univers : et il faut ou qu’elle soit submergée par le reflux des puissances rétrogrades qui l’enveloppent, ou qu’en propageant par la force le progrès et la liberté, elle s’épuise en une lutte formidable, et fausse par la violence la Révolution même qui doit affranchir et pacifier. Aussi, nos patriotes ont la vue bien courte et l’esprit bien pauvre quand ils se plaignent que l’Allemagne et l’Italie ne soient pas restées à l’état de morcellement et d’impuissance, qu’elles soient constituées en nations unifiées et fortes. Car c’est précisément par là qu’il est permis maintenant d’espérer en Europe un développement politique et social à peu près concordant des diverses nations. Dès lors l’évolution de l’une ne risque pas de se heurter à l’immobilité des autres, et les plus grandes transformations intérieures des peuples ne sont plus une menace pour l’équilibre du monde et pour la paix.

C’est la Révolution, ce sont ses luttes contre la servitude universelle, ce sont ses appels passionnés et violents à la liberté de tous, qui ont préparé cette homogénéité de l’Europe. Quand, du haut des Alpes, la liberté jetait son cri d’aigle à l’univers et appelait à la liberté et à la vie « les nations encore à naître », elle annonçait cette sorte d’unité, de concordance politique et sociale qui caractérise l’Europe nouvelle. Quelles qu’aient été les imprudences, volontaires ou forcées, de la Révolution française, c’est là un résultat d’une incomparable grandeur.

Elle a adressé à toute l’humanité une sommation hautaine d’avoir à hâter le pas pour la rejoindre. Elle a animé, secoué, violenté les nations attardées. Elle les a obligées à sortir de l’ornière des siècles. Elle a rendu pour elles impossibles à jamais les somnolences et les lenteurs de l’ancien régime. Elle a précipité pour toutes le rythme de la vie. Elle a posé brutalement, et sous l’éclair d’orage des jours présents, des problèmes qui se développaient en quelques consciences d’élite avec une sorte de lenteur sacrée. Et sa proclamation de liberté aux peuples, si elle a l’éclat de cuivre des sonneries guerrières, en a aussi l’allégresse pressante et entraînante. Debout, peuples belgiques lourdement endormis sous l’épais manteau catholique ! Debout, penseurs et