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Peut-être aurait-il eu plus d’impatience révolutionnaire si, au lieu de professer à Iéna auprès d’une jeunesse disciplinée à la prussienne et qui se prêtait volontiers à l’attente grave et aux lentes évolutions de la pensée, il était resté en contact avec son pays d’origine, avec l’ardente Souabe. Là, la jeunesse des Universités et des écoles, aussi bien que les corporations d’artisans s’exaltaient, dès 1789, aux premiers bruits de la Révolution française. M. Adolf Wohlwill a rapproché, en un bref et vivant tableau, les traits de ce mouvement (Hambourg, 1875).

Dans le Wurtemberg, dans la Souabe, il y avait, en le quart de siècle qui précéda la Révolution, une grande animation de pensée, et aussi une vie politique assez riche. Ce fut, avec les pays du Rhin, le plus chaud foyer révolutionnaire d’Allemagne. Les villes y avaient gardé d’importantes franchises et les États, où les diverses classes étaient représentées, avaient quelque puissance et quelque activité.

À vrai dire, l’horizon des bourgeois et artisans était un peu étroit. Il s’était formé des oligarchies bourgeoises qui avaient là, comme partout en Europe, absorbé peu à peu le pouvoir municipal ; et la lutte était engagée entre les corporations d’artisans et la bourgeoisie moyenne d’une part, qui voulaient reconquérir leur influence, et l’oligarchie. C’est souvent sur des questions minuscules et d’intérêt purement local que s’engageait la lutte.

Mais, dès que la Révolution française éclata, elle fournit à ces luttes municipales des formules plus vastes. C’est au nom des Droits de l’homme que les classes moyennes demandaient une interprétation plus large des constitutions municipales. Et la revendication des libertés coutumières du moyen âge, usurpées ou resserrées peu à peu par des coteries de bourgeois riches, s’autorisait parfois du Contrat social. C’était comme un grand souffle passant soudain dans un décor d’archéologie. Mais les étudiants, surtout ceux de l’Université de Tubingen, ceux de l’école carolienne, étaient tout préparés à se passionner pour la liberté révolutionnaire. Il y avait d’abord, entre leurs études qui les mettaient en contact avec la libre vie de la Grèce et de Rome, et la discipline étroitement militaire à laquelle ils étaient soumis à l’école carolienne un contraste qui se traduisait parfois par des soulèvements. Mais surtout une ardente vie intérieure s’accumulait en eux qui ne tarderait pas à se répandre en sympathies de Révolution. Elle était faite d’éléments multiples et confus, mais dont la confusion même était d’une extrême richesse. C’était un mélange des souvenirs des républiques anciennes et des formules de la démocratie moderne. Quand Sparte, Athènes et Rome les avaient exaltés, Rousseau les enflammait ; un vent large et chaud passait sur l’agora ou sur le forum et semblait les élargir, y appeler les multitudes. Le droit inaliénable de l’homme proclamé par Rousseau leur paraissait le moyen nouveau de retrouver l’antique liberté ensevelie sous dix siècles d’oppres-