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juste pour ses contemporains et pour la France révolutionnaire. Il ne voyait pas assez, il ne disait pas assez combien l’effort même anarchique et convulsif du présent contribuait à préparer la paix future, l’ordre de liberté, de démocratie et de justice attendu par les hommes. Mais quelle pénétration et quelle profondeur du regard ! Oui, comme il l’annonçait, il a fallu au moins un siècle pour que le gouvernement certain, régulier et légal de la démocratie fût assuré en France et dans une grande partie de l’Europe. Oui, comme il l’annonçait dès le début de l’année 1793 avec une précision qui épouvante, la République française sera emportée en quelques années, on peut dire, du point de vue de l’histoire, en quelques jours ; et la figure du soldat brutal qui se servira de la Révolution pour s’emparer de la France et d’une partie de l’Europe se dresse dans la prophétie de Schiller au seuil déjà bouleversé des libertés nouvelles.

Ah ! comme on se prend à détester, quand on en constate l’impression funeste en de nobles et libres esprits comme Schiller, les inutiles sauvageries qui ensanglantèrent quelques journées de la Révolution, et les rivalités misérables des amours-propres et des ambitions ! Comme on mesure le mal qu’elles ont fait à la Révolution en lui aliénant au dehors tant de fières consciences et en l’obligeant, par un cercle de fatalité, à redoubler de violence épuisante pour conjurer précisément les périls extérieurs que les premières violences ont ou excités ou aggravés !

Oui, que Marat comparaisse avec l’odieux et niais numéro du 19 août où il montrait aux massacreurs le chemin de l’Abbaye ; qu’il sorte de sa cave obscure, et qu’il regarde le monde ; qu’il regarde l’Europe. Il verra combien, par la politique de meurtre, que lâchement d’ailleurs il désavoua quelques semaines après, il a fourni d’armes terribles à la contre-révolution, mais surtout de quel fardeau il a accablé les esprits dont les sympathies premières allaient à la liberté.

Et que Roland aussi sorte du bureau où il confectionne ses lourdes diatribes. Qu’il regarde, lui aussi ; qu’il mesure le mal qui a été fait au loin par les divisions insensées dont il fut l’artisan austère.

Et nous, socialistes du vingtième siècle, qui nous passionnons et nous attristons à l’effort héroïque et aveugle, sublime et incertain, puissant et contrarié que fit il y a cent vingt ans la liberté, ayons ce haut souci d’incessante et large éducation, que le grand poète allemand, affligé mais non abattu par la faillite prévue des libertés françaises, recommandait à l’avenir comme le devoir essentiel.

Que de cerveaux de « révolutionnaires » sont encore des caves obscures, et que de cerveaux « d’hommes d’État » sont encore de pauvres antichambres d’intrigue et d’ambition ! Faisons entrer la lumière dans le souterrain haineux de Marat, dans le terne et pédantesque salon de Roland.

Chercher en toute question toute la vérité et la dire toute, étudier dans