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tourbillon et faire éclater ses nuages de grêle. Et après la tempête, l’air respire à peine d’un souffle léger ; les ruisseaux chantent, et les gouttes de pluie tombent du feuillage ; dans la fraîcheur exquise montent des vapeurs de parfums ; et la sérénité bleue sourit, dans la vaste étendue du ciel. Tout est force, vie et joie ; le rossignol chante le chant des fiançailles et plus aimante encore chante la fiancée. Les garçons dansent autour de l’homme qu’aucun despote ne méprise plus ; et les filles entourent la femme paisible qui donne au dernier né le lait de la liberté. »

Hélas ! comme bientôt Klopstock s’effraiera de l’orage ! Il ne saura pas attendre qu’après le déchaînement des fureurs et des foudres « la sérénité bleue » de la liberté et de la paix luise sur les hommes. Pendant trois ans encore, de 1789 à 1792, il chante la Révolution. En 1790, il dédie au duc de la Rochefoucauld un poème dont le titre est significatif : Eux et pas nous.

« Si j’avais cent voix, elles ne suffiraient pas à célébrer la liberté de la France. Que n’accomplissez-vous pas ! Le plus terrible des monstres, la guerre, est enchaîné par vous. Ô ma patrie, nombreuses sont les douleurs, le temps les adoucit et elles ne saignent plus. Mais il en est une que rien n’apaise pour moi, et qui saigne toujours. Ce n’est pas toi, ma patrie, qui as gravi le sommet de la liberté, et qui en as fait rayonner l’exemple tout autour de toi, aux autres peuples. Ce fut la France. Toi, tu n’as pas goûté à la plus délicieuse des gloires ; tu n’as pas cueilli ce rameau d’immortalité… Elle ressemblait pourtant, cette palme glorieuse, à celle que tu cueillis lorsque tu épuras la religion, lorsque tu lui rendis la sainteté que lui avaient ravie les despotes âpres à enchaîner les âmes ; les despotes qui faisaient couler le sang à flots quand le sujet ne croyait pas tout ce que la fantaisie délirante du maître lui ordonnait de croire. Si par toi, ô ma patrie, le joug des despotes tonsurés fut brisé, ce n’est pas toi qui brises le joug des despotes couronnés. »

Glorieuse pour avoir commencé, par la Réforme, l’affranchissement de la conscience, l’Allemagne n’a pas su prendre l’initiative de la Révolution et elle ne s’y engage même pas à la suite de la France.

Même en avril 1792, même au moment où la guerre est déclarée entre la France et la Prusse et l’Autriche, Klopstock reste fidèle à sa foi en la Révolution. Il ne demande point si les révolutionnaires de France n’ont pas contribué, par leur naïveté ou leurs calculs, à déchaîner le conflit. Il ne se souvient que d’une chose : c’est que la France a proclamé la liberté des hommes ; c’est qu’elle a déclaré qu’elle répudiait toute guerre de conquête ; et il s’indigne de l’entreprise violente dirigée maintenant contre elle.

Il proteste contre les chefs de l’Allemagne qui méconnaissent le sentiment du peuple allemand, et il donne le beau nom de « Guerre de la liberté », (c’est le titre de l’ode) à la guerre que va soutenir la France de la Révolution.