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« Si l’Allemagne se trouvait exactement dans les mêmes circonstances que la France il y a quatre ans, si nous n’avions pas une Constitution dont les heureux effets surpassent de beaucoup les désavantages ; si nous n’étions pas réellement en possession d’une grande partie de la liberté que nos voisins de l’Est durent alors conquérir ; si nous ne jouissions pas le plus souvent de gouvernements plus doux, plus respectueux des lois et plus attentifs au bien-être des sujets ; si nous n’avions pas plus de secours contre l’oppression que n’en avaient les Français de cette époque ; si nos impôts étaient aussi exorbitants ; si nos finances étaient dans un état aussi désespéré, et nos aristocrates aussi intolérablement orgueilleux et privilégiés contre toutes les lois à la façon de ceux de France, il n’y a pas de doute que les exemples qui nous sont donnés par ce pays depuis quelques années auraient agi sur nous autrement ; et tandis qu’il n’y a eu que des dispositions au soulèvement, les symptômes de la fièvre auraient éclaté et le peuple allemand serait depuis longtemps de spectateur devenu acteur. »

Et il se peut en effet que le défaut de centralisation du pouvoir politique en Allemagne ait donné à la liberté quelques garanties. Mais encore une fois, que les dirigeants d’Allemagne ne s’endorment point, qu’ils ne résistent point au progrès nécessaire. Voici que les Français, par leur humanité comme par leur vaillance, sont en train de conquérir les cœurs allemands :

« C’est le courage poussé jusqu’à l’héroïsme et uni à la grandeur d’âme et à l’humanité qui dompte le plus puissamment les cœurs et qui excite le mieux l’admiration et l’amour. C’est une preuve de grande sagesse chez les généraux de l’armée française d’avoir su amener leurs soldats à observer dans les contrées voisines, où ils jouent maintenant aux maîtres, une si bonne tenue, de conquérir par une conduite au-dessus de toute atteinte (au moins en Allemagne), l’estime et la sympathie des peuples auxquels ils prêchent leur nouvel évangile. On se demandait, étonné, si c’étaient bien là les cannibales, les monstres, les bêtes apocalyptiques dont on avait depuis quatre ans raconté tant de méfaits. Et l’on se trouvait forcé de croire que tout ce qu’on avait lu et entendu des horreurs des fameuses journées noires et de tant de démarches furieuses par lesquelles le peuple souverain avait exercé sa façon de justice, était sinon créé de toutes pièces par les aristocrates et leurs partisans, au moins démesurément grossi. »

Ainsi, la pensée de l’Allemagne chancelait et ne savait au juste où se fixer. Cette ligne moyenne tracée par Wieland, avec ses inflexions et adaptations prudentes, représente sans doute assez bien l’état le plus général des esprits.

L’enthousiasme premier de Klopstock ne résista pas aux violences de la Révolution. Il avait d’abord salué en elle la liberté et la paix. Il lui semblait que par l’organisation légale de la liberté les conflits et les guerres allaient disparaître : guerres à l’intérieur des peuples ; guerres de peuple à peuple.