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des deux pays afin de réserver à l’Allemagne une plus douce évolution. « Dans les choses, dit-il, qui offrent des traits communs, le gros du peuple voit d’abord les ressemblances et ne prend pas les différences en suffisante considération. Comme en Allemagne aussi une grande partie de la Constitution repose sur les principes du vieux système féodal, et est, pour ainsi dire, bâtie de ses débris, comme nous avons aussi une noblesse haute et basse dotée de grands privilèges à l’exclusion de tout le reste de la nation, des évêques et des abbés qui sont en même temps des princes et des souverains, comme nous possédons une foule de riches bénéfices ecclésiastiques sur lesquels la noblesse des chevaliers s’est attribuée une sorte de droit de naissance, comme les restes du vieux régime féodal et les diverses espèces d’esclavage personnel et de servitude réelle qui enchaînent les sujets sur le domaine du seigneur foncier pèsent çà et là lourdement sur les épaules des assujettis, comme chez nous aussi, le manque de liberté personnelle et de libre jouissance de la propriété, et l’énorme inégalité entre une partie relativement petite des citoyens et tous les autres sont très choquants, rien n’était plus naturel que de présumer que des causes semblables produiraient chez nous des effets semblables. Rien d’étonnant donc à ce que, à l’occasion de la Révolution française, la nation allemande aussi se soit partagée en partis qui, grâce à Dieu, n’ont pas troublé la tranquillité publique, mais qui affirmaient leur existence par des manifestations de toute sorte. À peine en France le parti populaire eut-il la haute main qu’il se forma aussi en Allemagne un parti qui avait plus à espérer et un parti qui avait plus à craindre. »

Mais ce parallélisme va-t-il se continuer et se compléter par un soulèvement révolutionnaire de l’Allemagne ? Deux choses, selon Wieland, donnent encore aux gouvernants le temps d’aviser et aux hommes sages le droit d’espérer que le progrès nécessaire s’accomplira sans violence. C’est d’abord que l’esprit allemand a réfléchi, comme un large miroir, tous les événements de la Révolution et que la conscience allemande a reçu l’impression des crimes et des hontes de la Révolution française comme de sa grandeur et de sa gloire.

« La tranquillité intérieure, dont nous avons joui jusqu’ici, sauf d’insignifiantes exceptions, dans notre patrie allemande, témoigne du caractère posé et de la saine raison humaine de la nation qui a reçu une juste impression non seulement des triomphes de la liberté et de l’égalité, mais aussi de l’incommensurable misère de l’anarchie, de l’insécurité de la fortune et de la vie, de la fureur des factions, de la Vendée, et de la foule de crimes et d’inhumanités auxquels la Révolution a donné lieu en France et qui ont été la trop chère rançon de chacune de ses victoires. »

Et en second lieu, il y a entre l’ancienne Constitution toute despotique de la France et la Constitution de l’Allemagne, si imparfaite soit-elle, des différences sensibles.