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Et à tous ceux qui lui objectent qu’on ne peut écrire l’histoire de la Révolution « à la lueur de la lanterne », il répond qu’on ne saurait l’écrire non plus aux lueurs de fête dont s’illumineraient les maisons aristocrates de Paris si la contre-révolution triomphait. Wieland paraît craindre bientôt que par les infatigables manœuvres de celle-ci, les premières conquêtes de la liberté ne soient compromises, et il atteste que, si les nobles combattants de la Révolution et de la liberté doivent succomber, ce sera du moins glorieusement, et après avoir tenté la plus sublime et la plus nécessaire entreprise.

Mais l’audace de la Constituante, abolissant la noblesse et frappant le clergé, lui révèle toute la force du mouvement révolutionnaire, et il reprend confiance. Chose curieuse, et qui montre bien que l’Allemagne, dont la bourgeoisie était moins puissante que celle de la France, ne démêlait pas bien les causes économiques de la Révolution, Wieland s’étonne et se scandalise que la Constituante ait garanti la dette d’État.

« Est-ce que la dette d’État qui a été contractée sous les gouvernements antérieurs et sous le gouvernement actuel jusqu’à la révolution du 15 juin, est vraiment une dette nationale, c’est-à-dire une dette pour laquelle toute la nation soit tenue ? Mais la réponse va de soi. La nation, bien loin d’avoir le moindre pressentiment de sa majesté d’aujourd’hui, n’avait, lorsque cette dette fut formée, aucune part à la puissance législative, et elle payait simplement des impôts qu’elle n’avait pas consentis. De plus, la plus grande partie de la dette provenait (comme les démocrates le disent bien haut), de l’excès de luxe, de dépenses et de désordre de la Cour, et la nation avait si peu gagné par là que, pendant que quelques centaines de familles s’enrichissaient aux frais de la nation, des millions de familles descendaient dans la misère. Il est donc clair qu’une dette qui n’a été ni contractée par la nation, ni consentie par elle, ni employée à son profit, ne peut pas être une dette nationale.

« Et vous, tout puissants législateurs, vous auxquels la nation a confié la défense de tous ses droits, vous dont un peuple gravement malade et à toute extrémité attend (ce sont vos propres paroles) la guérison et le salut, vous ne craignez pas d’imposer à la nation déjà épuisée cet énorme fardeau ?… Parmi les vingt-cinq millions de citoyens et de citoyennes libres dont se compose la France, n’y en a-t-il pas au moins vingt-quatre millions auxquels il serait aussi juste de demander le paiement des dettes de l’Empereur de la lune que celui des dettes de la Cour de France ? »

Oui, mais à briser et ruiner la bourgeoisie créancière de l’État, et à supprimer tout crédit public, la Révolution se perdait. Wieland en aurait eu le sentiment si une classe bourgeoise vraiment révolutionnaire avait à ce moment affirmé sa force en Allemagne et dirigé l’opinion.

C’est avec cette molle sympathie, toujours un peu incertaine, prêcheuse et facilement effrayée, que Wieland suit le développement révolutionnaire. À chaque fois qu’il fait des réserves ou éprouve un doute, un nouvel acte de