La grandeur de l’esprit c’est de tout comprendre et de s’accommoder aux formes successives que revêt la réalité. « La petitesse de l’esprit, dit-il, est un attentat contre la majesté de la nature » et aussi contre la majesté de la race humaine qui a affirmé sa puissance, ses espérances, ses douleurs et ses joies par le rêve comme par la science, par la religion naïve comme par la philosophie éclairée. Oui, mais ces esprits si accueillants, si compréhensifs et si souples, n’étaient pas prêts à engager contre la vieille Allemagne des préjugés et des tyrannies la lutte directe et claire, le combat révolutionnaire. Pourtant à sa manière aussi, Herder travaille à l’affranchissement de son peuple. Il lui montre l’humanité toujours en mouvement, toujours en progrès : il lui ouvre par là même de nouveaux horizons. Et surtout il s’applique à rendre à l’Allemagne la conscience intellectuelle d’elle-même. Ah ! de quel accent, plus profond que celui de Lessing et de Klopstock, il proteste contre la « gallicomanie », contre l’engouement des puissants de l’Allemagne pour les lettres et les mœurs françaises ! Chez Lessing, chez Klopstock, c’est de la littérature. Chez Herder, il y a un sentiment plus pieux, un douloureux respect pour cette profonde nationalité allemande si morcelée, pour cette âme allemande si méconnue et foulée. Comme il s’indigne de l’abaissement social de la langue de la patrie, et du préjugé qui veut que le noble parle français à son égal et allemand à son domestique ! Comme il souffre de la terrible dispersion de forces qui, depuis la guerre de Trente Ans et le traité de Westphalie, a presque aboli l’Allemagne ! Il parle avec émotion du grand Leibniz qui a reconstitué, en quelque sorte par la puissance de son génie, l’unité intellectuelle de l’Allemagne. Et c’était une Allemagne conciliante, large, humaine, qu’il rêvait. Il lui assignait pour première tâche de réconcilier les religions, non par la puérile uniformisation des pratiques et du culte, mais par l’ampleur de la pensée et la richesse du sentiment. Lorsqu’à la veille de la Révolution française il passe à Nuremberg, allant en Italie, l’œuvre du maître Albert Durer lui rappelle l’antique puissance créatrice de l’Allemagne : « Oh ! comme les princes ont méconnu l’esprit de la nation allemande ! Comme ils l’ont opprimé, dissipé en orgies et gaspillé ! » Et par la force même de son pieux désir, il suscite à nouveau la conscience allemande. Il espère que les princes eux-mêmes seront touchés de cette grande pensée commune et qu’avec leur aide aussi l’Allemagne s’affirmera.
« Quoi ? Un mausolée pour l’Allemagne, un monument des morts ? Oui, il est vrai que notre patrie est à plaindre de n’avoir aucune voix universelle, aucun lieu de réunion où tous puissent parler à tous. Tout en elle est divisé, et il y a tant de choses qui maintiennent cette division : religions, sectes, dialectes, provinces, gouvernements, usages et droits. C’est seulement au cimetière, paraît-il, qu’il y a place pour une pensée commune.
« Mais pourquoi seulement là ? Est-ce que partout, des classes les plus hautes aux plus humbles, des forces visibles et invisibles ne travaillent pas à