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dustrie moderne naissante, et quand l’atelier n’était encore que la famille un peu agrandie, de bonnes âmes comme Gertrude aient adouci à l’enfance pauvre les rudes sentiers du travail. Et il était possible à coup sûr, sans diminuer en rien la puissance productive de l’enfance, sans contrarier la croissance et l’accumulation du capital nécessaire à la grande production, de ménager ou même de fortifier la santé et la joie de ces jeunes êtres. Mais, encore une fois, où était la garantie ? Où était le pouvoir, contrôlé du peuple, et pouvant veiller sur le peuple ? Bientôt c’est le capital lui-même qui sera pour les enfants enseveli dans le travail industriel, le vrai « maître du soleil ». Et il le leur cachera ; il les laissera s’exténuer et s’étioler dans le long travail démesuré et sombre, et bientôt tout l’éclat de l’enfance ne sera plus en effet que poussière et nuit. Mais en cette période incertaine et diffuse de la vie allemande où dans le régime féodal encore intact commence à pointer à peine la force industrielle, c’est le seigneur souverain qui est investi par Pestalozzi du soin de veiller sur les ouvriers comme sur les paysans ; sa pensée de régénération ne va pas au-delà. Mais quoi ! si le seigneur est mauvais, s’il est égoïste et brutal ? Si, au lieu de répartir entre les paysans des arbres de ses pépinières et de procéder entre eux à un équitable partage du bien communal, il empiète au contraire à son profit, et le confisque comme firent tant de nobles en Europe au xviiie siècle, où sera le recours ? Et si le hobereau, au lieu d’éduquer les pauvres enfants des filatures naissantes, redoute, comme tant de petits despotes, que ce commencement de lumière n’éveille en effet la fierté des humbles, qui allumera pour le peuple le rayon éteint par l’égoïsme de l’aristocratie ? Même cette sorte de démagogie féodale du seigneur abaissant les paysans aisés, « les ventrus », et exaltant les plus misérables, les vagabonds, les mendiants, est suspecte. Ce n’étaient pas les dénués, les misérables, qui pouvaient s’essayer à la liberté. Ce n’étaient pas eux qui pouvaient entreprendre la lutte contre l’absolutisme impérial, royal ou princier et contre l’oppression et l’exploitation des nobles. Ils pouvaient au contraire devenir aisément une clientèle de misère animée par le seigneur contre les paysans aisés cherchant à s’organiser et à s’affranchir. C’est ce qu’essayèrent parfois les seigneurs de France, lorsque, à la veille de 1789, pour s’assurer une sorte de popularité dans leur paroisse, ils défendaient le droit de glanage des pauvres contre l’âpreté propriétaire des cultivateurs aisés. Quand le Junker a ridiculisé et humilié ces paysans, égoïstes sans doute, mais seuls capables d’un peu de résistance et d’action, quand il leur a un moment retiré leur chapeau pour en coiffer les mendiants et les gueux, il paraît avoir été assez avant dans la voie d’égalité sociale. Il a brisé en réalité tout ressort possible de revendication et de révolution. Et quand le Junker, sa journée accomplie, tourne sa face glorieuse vers le glorieux soleil, il est bien en effet le maître et le seul maître. Il y a si peu d’esprit révolutionnaire latent en Allemagne, en ces années qui précèdent immédiatement la