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Basedow et Campe. Il en est de grands comme Pestalozzi ; mais quoique la Législative ait accordé à Campe et à Pestalozzi un brevet de citoyens français (Basedow était mort), quoique Campe se soit passionné pour la Révolution, quoique Pestalozzi l’ait approuvée jusqu’au bout, leur œuvre n’était pas directement révolutionnaire. Campe manque tout à fait de vues sociales. Son entreprise pédagogique était de simplifier et d’alléger le plus possible l’enseignement, de faire un peu plus appel à l’initiative des élèves et de rendre la discipline plus libérale, mais surtout d’abréger la durée des études pour que les jeunes gens pussent entrer plus tôt dans la vie. Il multipliait les exercices physiques, dépouillait l’enseignement des langues anciennes de toute recherche d’érudition et de toute curiosité grammaticale, et fondait la morale sur une sorte de religion neutre où les diverses confessions chrétiennes se fondaient en un déisme évangélique. Évidemment, l’enseignement ainsi allégé était plus « moderne ». Il risquait aussi d’être superficiel. Campe et Basedow durent défendre leur méthode contre des attaques répétées :

« Que veulent, disaient-ils, les philantropinistes ? (c’est le nom qu’ils donnaient à ce système d’éducation). Pourquoi allègent-ils la connaissance des langues et des sciences ? Pour éviter le dégoût des études, et par là l’habituelle méthode scolaire qui perd l’esprit et le cœur ; pour diminuer les difficultés si grandes de l’éducation morale ; et enfin, pour que l’enfant, l’adolescent, le jeune homme aient du temps pour vivre, du temps pour se préparer à la vie, et pour jouir joyeusement et utilement de la vie elle-même. Avec le système qui a été appliqué jusqu’ici, les jeunes gens des classes cultivées n’ont presque pas pu vivre, parce que jusqu’à vingt ou vingt-quatre ans toute leur force a été consumée dans des préparations, et encore dans des préparations qui d’ailleurs, le plus souvent, ne préparaient pas à une vie heureuse. Bien rarement, comme l’expérience le montre, l’âme d’un jeune homme, dont la raison et le cœur ont porté jusque-là les lourdes chaînes de la contrainte scolaire (inévitable dans les méthodes actuelles), cherche à s’élever ensuite à une pure pensée d’homme et à des sentiments d’homme. Si nous pouvions être fidèles à tout notre plan, la jeunesse qui grandirait en nos mains ne mûrirait pas trop vite ; mais, par l’application de méthodes perfectionnées, elle gagnerait pour elle-même la moitié du temps employé jusqu’ici à l’étude des langues et des sciences et elle pourrait se préparer réellement à la vie humaine et civile. Il faudrait même consacrer à peu près autant d’heures par jour à des travaux mécaniques et économiques qu’aux études proprement dites, et ces dernières, jusqu’à ce que les enfants aient atteint un certain âge, ne devraient être qu’en forme de passe-temps pendant le travail des mains.

… « Notre but de faire de chacun de nos disciples plus qu’un Européen, plus qu’un Souabe, un Autrichien ou un Saxon, mais un homme, ne peut être traité de chimère que si on fait vraiment la preuve qu’il ne peut être