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droit social. L’égalité chrétienne ne peut pas plus leur conférer une part de droit dans la grande société territoriale qu’elle ne leur confère, par exemple, une part de droit dans une compagnie de navigation organisée par actions.

Si donc Mœser suggère a ses lecteurs l’idée de transformer le lien du servage en un contrat de métayage, ce n’est pas que l’humanité soit outragée par la mise en esclavage des familles paysannes. C’est parce qu’avec la complication croissante des rapports sociaux il est de l’intérêt même des propriétaires d’affranchir les serfs. Ils en sont, en effet, pleinement responsables, et l’obligation d’intervenir dans toutes leurs affaires, dans leurs procès, difficultés et démêlés, est très lourde. De plus, pour perfectionner la culture, il faut faire des avances à la terre. Si les serfs qui cultivent le domaine n’empruntent pas, ils ne feront pas toujours les avances suffisantes. S’ils empruntent, bien des conflits surgissent entre le droit du prêteur qui veut prendre gage sur le pécule éventuel du serf, et le droit du seigneur et maître auquel ce pécule, à la mort du serf, doit faire retour. Il est donc peut-être utile d’émanciper les paysans du servage, et Mœser indique dans le détail les précautions infinies, les clauses minutieuses et rapaces par lesquelles le propriétaire s’assurera, du serf devenu métayer, des redevances au moins équivalentes à celles du servage.

Parfois, on sent que l’émotion humaine de Mœser va au delà de ses conclusions explicites. Il n’ose pas toujours formuler toute sa pensée, mais il tente d’émouvoir un peu la conscience des propriétaires westphaliens par le tableau des souffrances des serfs, de leur lamentable condition. Elle va s’aggravant par l’indétermination croissante de leurs charges. Il fut un temps où leurs obligations étaient inscrites sur une table de pierre, placée à l’église derrière l’autel. Maintenant c’est la coutume, indéfiniment extensible, qui règle ces obligations. Et les paysans tremblent toujours que la moindre concession ou la moindre imprudence de leur part ne soit saisie comme un précédent par la coutume seigneuriale, toujours aux aguets. Comme un jour le fils du seigneur demandait un baiser à une jeune paysanne charmante, svelte et gaie, et comme la jeune fille y semblait condescendre : « Ne fais pas cela, s’écria soudain la mère : on en ferait une redevance », et la communauté des familles de serfs du domaine, convoquée en délibération spéciale, décida que la jeune fille n’accorderait le baiser que si la table de pierre était rétablie et faisait seule foi pour les obligations des serfs.

C’était d’ailleurs une croyance des paysans que quiconque étendait, par une concession nouvelle, les droits du seigneur, appelait sur sa demeure la hantise des revenants et l’importunité des fantômes. « Superstition heureuse, dit Mœser, et qui a plus fait que bien des lois pour protéger un peu les paysans contre leur propre faiblesse. »

Mais comme ils se débattaient péniblement ! Ils avaient à lutter parfois contre leurs proches mêmes, complices de l’oppression seigneuriale. Tout