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vives et immobilisé tous les courants, ou s’exposer aux révoltes de la liberté même que l’on prétend instituer ! C’est dans ce dilemme, où avait succombé Joseph II, que l’hésitante conscience révolutionnaire de l’Allemagne se sentait prise, et l’effroyable échec de l’empereur glaçait en elle toutes les forces d’action. À Bruxelles même, Forster scrute encore ce triste problème d’impuissance et de contradiction :

« On pouvait attendre d’un peuple de ce caractère des changements heureux, si seulement il recevait une impulsion.

« Déjà la seule ouverture de l’Escaut aurait dû suffire à réveiller les activités… Mais le peuple belge n’eut pas la moindre parcelle d’enthousiasme ; il ne soutint à aucun degré le prince. L’Empereur ressentit profondément cette indifférence ; elle le ramena nécessairement à la racine même du mal, et le confirma dans la persuasion où il était qu’il ne devait retenir de son plus haut dessein que la grande œuvre d’éducation : donner à ses sujets une âme nouvelle. S’il eut peu d’égards pour la raison de la grande masse, s’il se sentit appelé à conduire ses sujets, qui lui semblaient des enfants, par les voies de l’autorité et pour leur propre bien, qui, après de tels exemples, ne trouvera pas son erreur excusable ? Comment ne pas plaindre le monarque dont le peuple était si loin derrière lui ? »

C’est avec une sympathie passionnée et triste que Forster suit Joseph II dans sa lutte contre un cléricalisme abêtissant :

« En la personne des prêtres, il voulait préparer au peuple de meilleurs éducateurs, de meilleurs guides, et il créa à cet effet dans tous ses États un institut d’éducation pour les futurs prêtres et pasteurs, où ils seraient formés d’après de meilleurs principes qu’auparavant et élevés non seulement dans les devoirs du système hiérarchique, mais aussi dans les devoirs de l’homme et du citoyen. Louvain, cette vieille Université si célèbre autrefois, et qui était dotée plus que toute autre par la largesse de ses fondateurs, mais qui maintenant était tombée dans un bourbier d’ultramontanisme ignorant, appela toute l’attention et toute la sollicitude du monarque et de ses commissions d’étude. Les privilèges presque illimités de cette haute école étaient devenus, aux mains de prêtres ambitieux, tout un système d’abus, une conjuration contre l’humanité et ce qui l’ennoblit, la pensée…

« L’éducation du peuple, l’objet principal des soins paternels de Joseph II, ne pouvait être mise sur un meilleur pied qu’au prix de grandes dépenses ; les nouveaux traitements des professeurs s’élevèrent à des sommes importantes, Et il fallut réaliser des ressources. L’Empereur appliqua ici le même plan qu’en Autriche, en Hongrie et en Lombardie ; il saisit la main-morte des couvents, dont il était fait un si déplorable usage. Les dons pieux et les fondations qui entretenaient jadis la sainteté de la vie monastique, mais qui ne servaient plus qu’à nourrir une voluptueuse paresse, durent recevoir à nouveau leur ancienne destination et, réunis en un seul fonds de religion, être