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sous le regard plus proche de son gouvernement. Ce projet, digne d’un grand chef politique, et qui prouve à lui seul combien l’empereur pénétrait profondément l’essence même des choses, et comme il savait toucher au point vif, aurait peut-être réussi si l’empereur n’avait pas eu à cœur, en même temps, de dissiper par de vigoureux rayons de lumière les ténèbres dont le clergé des Pays-Bas s’enveloppait systématiquement et tout le reste avec lui. Malheureusement, ces traits de lumière n’étaient que des éclairs dont la clarté débile ne servait qu’à rendre plus sensible l’horreur de la nuit. Le grand principe, que tout vient lentement et peu à peu, que l’ardeur d’un feu dévorant est vaine, et que seule la douce chaleur du soleil est bienfaisante, dissipe les nuages et assure la belle croissance des êtres organiques, semble avoir été étranger à l’esprit de Joseph II, et ce manque ruina tous les grands desseins royalement conçus. »

Ainsi, au moment même où de l’ardente terre de France tous les germes semblaient subitement éclore, les tentatives malheureuses de Joseph II pèsent comme une ombre sur la pensée de l’Allemagne. Attendons, sous la succession lente des tièdes soleils, l’incertaine maturation des semences cachées.

« Du moment, où l’empereur toucha aux privilèges du clergé dans les Pays-Bas, du moment où il voulut débarrasser l’enseignement théologique de ses crasses les plus grossières et de l’aigre levain bollandiste, sa perte et celle de toute son œuvre fut jurée. En un temps où toute l’Europe catholique, sans en excepter Rome même, avait honte des superstitions qui déshonoraient la sainteté de la religion et qui ne pouvaient durer qu’autant qu’on prétendait gouverner par la force du mensonge, à la fin du xviiie siècle, le clergé belge osa défendre les plus grossières idées d’infaillibilité hiérarchique et, à la face des contemporains éclairés, prêcher la bienheureuse ignorance et l’obéissance aveugle. »

Par une ruse diabolique, le clergé tourna la liberté contre la liberté, la lumière contre la lumière. Il abusa de ce que Joseph II tendait à imposer le progrès même par la force, pour soulever le peuple au nom du droit humain, proclamé par la raison du xviiie siècle.

« Sachant que son action avait éteint la raison dans les esprits ou tout à fait ou à moitié, et qu’il pouvait compter sur le dévouement de la classe la plus nombreuse du peuple, des hommes du commun, le clergé osa faire appel aux droits imprescriptibles. Il tourna perfidement les armes de la raison contre la raison même… Le principe de Joseph II, qui se croyait obligé d’appliquer sa vérité au bonheur des peuples, même par la force, le conduisit à un despotisme que notre époque ne peut plus souffrir ; le clergé belge le savait et il éleva audacieusement la voix. »

Douloureuse alternative : ou attendre le mouvement spontané d’un peuple croupissant, dont l’éducation cléricale a assoupi toutes les forces