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Un jour, à une ville qui voulait lui élever une statue, Joseph II écrit :

« Quand les préjugés seront déracinés, et qu’un véritable patriotisme se sera formé, avec des vues justes pour le bien de tous ; quand chacun contribuera avec joie en proportion de ses ressources aux charges de l’État, à sa sûreté et à sa grandeur ; quand les lumières seront répandues par des études mieux conduites, par un système plus simple d’éducation et par l’harmonie des véritables idées religieuses avec les lois civiles ; quand la justice sera plus exacte, quand la richesse sera accrue par l’accroissement de la population et le progrès de l’agriculture, quand l’industrie et les manufactures auront amené dans tout l’empire la circulation des produits, comme je l’espère fermement, alors j’aurai mérité une colonne honorifique, mais pas maintenant. »

Vastes espérances ! Vastes projets ! Mais même sous l’énergique impulsion de la volonté souveraine, le vieil État disparate, clérical et féodal ne se transformait pas aisément en État moderne, et Joseph II mourut brisé. George Forster, cet esprit si actif et si mesuré, cet homme à la fois ardent et sage, constate, dans son voyage de 1790 aux Pays-Bas autrichiens, peu après la mort de Joseph II, combien noble fut l’effort de celui-ci, et combien stérile. Et la conclusion qui s’impose à lui, c’est que le progrès est une œuvre difficile et lente, qu’il est impossible de brusquer. Ainsi l’activité réformatrice de l’empereur se tourne en une leçon de patience, de résignation, de temporisation.

À Liège, où la force des préjugés corporatifs et de la superstition religieuse s’était opposée à tout mouvement de liberté, Forster sent soudain se rapetisser sa pensée et son espoir. Il lui semble voir en cet exemplaire réduit l’image vraie de l’Allemagne routinière et impuissante :

« Notre point de vue, jusqu’ici, avait été beaucoup trop haut pour la politique présente : nos regards portaient beaucoup trop loin, notre horizon s’était trop élargi, et le détail des objets avait échappé à nos regards. Ici, dans le bas, tout ce qui planait pour nous si haut, si clair, les droits de l’homme, le progrès des forces de l’esprit, le perfectionnement moral, tout cela n’existe plus. »

Forster est comme étreint et rabaissé par les forces misérables de réaction qui tiennent l’humanité rampante. Et à Louvain, comme Joseph II s’était inutilement débattu contre toutes les routines, toutes les ignorances et tous les fanatismes !

« Joseph II reconnut bientôt que sans une meilleure forme de l’éducation publique dans ses provinces belges, il n’y pouvait espérer aucun progrès sérieux des lumières ; il reconnut en même temps que ce progrès de la raison était la seule pierre fondamentale sur laquelle ses réformes dans l’État pussent s’appuyer. Par suite, il transporta les Facultés laïques à Bruxelles, pour les soustraire à l’influence des nuées théologiques, et pour les mettre