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s’échappe facilement. Pour prévenir toute tromperie des ouvriers, ces lavoirs à laine sont installés aux endroits les plus découverts et les plus fréquentés. Là où cette précaution n’est pas prise (ce qui a lieu souvent à la ville où le lavage se fait parfois même la nuit) on ne peut, par la plus étroite surveillance, empêcher le vol d’importantes quantités de laines ; suivant que les ouvriers la livrent plus ou moins chargée d’eau, ils peuvent en dérober.

« La laine lavée est distribuée aux paysans pour être filée. Pour Aix-la-Chapelle et les centres de fabriques voisins, ce sont les Limbourgeois surtout et les Flamands qui filent. Dans le grand duché de Liège, où l’agriculture est très fortement poussée, le paysan a les mains trop dures pour pouvoir filer les fils fins. Mais dans les grasses prairies du Limbourg où se pratique l’élève du bétail et où l’occupation principale du paysan est la fabrication du beurre et des fromages, les doigts restent plus souples, et partout les femmes et les enfants filent le fil le plus fin. Toutes ces variétés du travail humain, correspondant à la diversité des lieux et des occupations traditionnelles, intéressent surtout lorsqu’on songe qu’elles sont suscitées par les besoins pressants de l’industrie et par les calculs de l’homme cherchant à porter au point de perfection un produit déterminé. Des besoins de cet ordre ont conduit les esprits spéculatifs à Berlin, à observer que le soldat était incomparablement plus apte à filer que le paysan poméranien. Et si l’on voulait pousser cette spéculation plus loin encore, on devrait partir de cette idée que chaque acte est d’autant plus perfectionné que les forces de l’homme se concentrent davantage sur cet objet. Sans aucun doute on progresserait beaucoup dans l’art de filer si le travail se faisait dans des établissements industriels où les ouvriers trouveraient la lumière, le feu et l’abri, et où une classe spéciale de travailleurs serait appliquée à cette forme du travail. Des hommes qui, dès l’âge de sept ans, seraient voués exclusivement à cette occupation, y acquerraient bientôt une grande habileté ; ils feraient mieux et plus vite que ceux pour lesquels ce n’est qu’un travail accessoire ; et comme, dans un même espace de temps ils livreraient des fils plus fins et en plus grand nombre, les produits seraient meilleur marché sans qu’il y eût désavantage pour les ouvriers eux-mêmes. »

Forster note avec profondeur que, pour s’accomplir sans désastre, cette transformation industrielle doit s’accompagner d’une vaste réforme dans l’intérêt des paysans. Comment leur retirer en effet le travail accessoire qui les aide à soutenir leur misérable vie, si on ne les libère pas des fardeaux qui les accablent ? Ainsi tous les progrès économiques sont liés. Ainsi l’industrie ne peut entrer pleinement dans la grande production et échapper à la routine corporative si les paysans ne sont pas soustraits à l’oppression féodale. C’est donc un mouvement vaste qui apparaît à l’Allemagne et qui commence à solliciter les pensées et les rêves.

« Mais comme un pareil progrès industriel devrait être harmonisé avec les conditions de travail et de vie des paysans, de façon que ceux-ci qui ne