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quéreurs des produits. Ils substituent leur responsabilité à celle des producteurs. Et en même temps, ils deviennent producteurs eux-mêmes ; ils installent dans les grandes villes maritimes des manufactures à eux.

« Nous devrions avoir honte si nous pensions à la pratique de nos ancêtres dans la Compagnie allemande (la Hanse). Tout ce que nous faisons dans les villes de l’intérieur, c’est livrer nos produits manufacturiers à un capitaliste de Brême ou de Hambourg et nous laisser duper par lui. Plus d’un parmi les fabricants est assez lâche et besogneux pour vendre à Brême même et à Hambourg, et se soumettre aux prix que les acheteurs réunis à la Bourse imposent à sa gêne ou à son imprévoyance. À peine nos habitants de l’intérieur savent-ils le temps où leurs marchandises sont au meilleur prix. Ils vendent leur blé après la moisson, leur lin à la Pentecôte… Comme les vues de nos ancêtres étaient larges, fortes, heureuses ! Ils se servaient des navires des expéditeurs des ports : mais ils ne vendaient pas leurs marchandises sur le marché de Brême, ils ne se livraient pas corps et âme à l’imprévoyance d’un Hambourgeois. C’est pour leur propre compte que la marchandise était vendue. Aux lieux de destination, à Bergen, Londres, New-York, ils avaient leurs employés à eux, leurs propres dépôts et comptoirs.

« …La Hanse d’autrefois ne considérait les capitalistes des ports que comme des entrepositaires… Que penseraient les hommes d’alors s’ils savaient que maintenant dans les ports il y a des fabriques de toute sorte et que de là des chapeaux et des bas peuvent être expédiés dans l’intérieur ? »

Et presque toutes les marchandises subissent dans les ports une dernière façon, apprêt ou teinture. Mœser qui démêle bien les faits, mais médiocrement les causes, ne dit pas comme Marx que cette floraison de manufactures dans les ports tient à ce que, là, les résistances du régime corporatif étaient moindres. Mais réellement tous les caractères du grand mouvement manufacturier se retrouvent dans l’évolution économique de l’Allemagne à la veille de la Révolution française. Il n’y a pas pleine stagnation et routine : l’Allemagne industrielle, sans avoir l’essor de la France, est dans une crise de transformation qui atteste la puissance de forces jeunes. De même que la partie la plus audacieuse et la plus progressive de la bourgeoisie française a échappé, surtout pendant la deuxième moitié du xviiie siècle, à l’étreinte du régime corporatif, de même les producteurs allemands les plus hardis, les plus agissants, les plus soucieux de l’avenir, tentent à la même époque de briser le cercle de la corporation ou d’en sortir. George Forster, avec sa pénétrante intelligence, a noté toute cette poussée capitaliste, tout ce travail obscur ou éclatant de transformation. C’est du régime suranné des corporations que meurt Aix-la-Chapelle, et au contraire, hors des prises du système corporatif, la vie économique est puissante et fourmillante. Les quatorze corporations industrielles et marchandes de la cité s’épuisent en rivalités grossières ou s’immobilisent par une réglementation étroite.