Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/462

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’effort de progrès, avait interdites, sous prétexte qu’elles faisaient concurrence par l’emploi d’un produit étranger à l’emploi d’un produit national.

La Silésie, protégée par des droits prohibitifs contre les fers étrangers, expédiait, en 1788, 11 000 quintaux de fer en Angleterre. De 1763 à 1777 30 000 ouvriers et artisans affluaient en Silésie, attirés par la tolérance religieuse du roi. Vers la fin du règne de Frédéric II, le produit ces fabriques prussiennes était évalué à 30 millions de thalers (environ cent millions de francs), et il est bien entendu que la production à domicile et pour les usages domestiques n’est pas comptée dans ce chiffre. En 1783 il y avait à Berlin 2 316 métiers à soie avec 2 316 ouvriers ; 2 566 métiers à laine avec 3 022 ouvriers.

En Saxe, malgré les souffrances de la guerre de Sept ans, malgré la barrière de tarifs dressée du côté de la Prusse par Frédéric II, les manufactures ont grandi. En 1785 les fabriques de coton ont une production élevée, et dès 1780 des fileuses mécaniques sont introduites. La Saxe veut rivaliser avec l’Angleterre pour l’emploi des machines. Les manufactures de toile, de bas, de gants subissaient des fortunes changeantes. Zittau avait jusqu’à 28 000 métiers à tisser le lin. Les mines saxonnes, d’où était sorti le grand Luther, occupaient 80 000 ouvriers. Les foires de Leipzig donnaient lieu à un mouvement d’affaires de 18 millions de thalers. Des caravanes de marchands russes venaient s’y approvisionner, surtout de soieries françaises. Ainsi il n’y avait pas langueur générale de l’industrie et des échanges ; et comment cela eût-il été possible dans un grand empire qui comptait trente millions d’habitants, qui avait un sol riche, des traditions splendides de richesse et d’activité, et des souverains aussi entreprenants, aussi passionnés que Frédéric II et Joseph II ?

Visiblement, c’est l’essor du capitalisme industriel qui commence alors en Allemagne, et je m’étonne que Marx n’ait pas illustré, par les traits que pouvait lui fournir l’évolution allemande de cette époque, ses admirables études sur la période manufacturière où il cite surtout des exemples anglais. Dans les articles qu’il publia à partir de 1774 sous le titre de Imaginations patriotiques Justus Mœser a noté, non sans quelque préoccupation rétrograde et une complaisance excessive pour le passé, mais avec une fine exactitude, tous les traits du mouvement industriel. Partout il signale l’empressement fébrile des capitalistes à créer de grandes manufactures. Partout il les montre en quête de la main-d’œuvre enfantine. Certes, elle abondait et les enfants étaient associés déjà à l’industrie domestique ; mais il fallait les discipliner, les plier au travail régulier.

Parfois, c’est sous la forme adoucie d’une idylle religieuse qu’apparaît cette première concentration industrielle de l’enfance. Voici un village paresseux, pauvre et malpropre, où l’activité économique d’un croyant, d’une sorte de frère morave, suscite la richesse et la vie.