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blique. Voilà mes principes, et j’y tiens d’autant plus fortement qu’ils sont ceux de beaucoup de députés à la supériorité desquels je me plais à rendre hommage. »

Ah ! comme il eût été facile à la Gironde, si elle était entrée dans la large politique de Danton, de grouper toutes ces volontés honnêtes, modestes et fières, et de créer une force révolutionnaire et nationale incomparable, à la fois enthousiaste et réglée ! L’ordre public aurait été appuyé au roc inébranlable des consciences et des esprits. Mais non : les Girondins ont agité, déclamé, calomnié, et le voile de concorde que Lebas s’obstinait encore à jeter sur les hommes furieux et sur les événements désordonnés se déchire enfin. Le 27 novembre il écrit à son père :

« Je vous envoie une petite brochure ; elle vous donnera une idée de la division qui règne au milieu de nous. Quels que soient les projets de ceux qui crient si fort aux agitateurs, il est certain que pour un bon observateur, leur conduite n’est pas celle de vrais patriotes, et ressemble beaucoup à celle des feuillants dont ils ont à peu près adopté le style et les maximes, et qu’il est assez curieux de voir figurer avec les aristocrates, parmi leurs partisans, et se joindre à eux pour égarer l’opinion, dépopulariser les plus ardents défenseurs de la liberté, et provoquer des décrets liberticides. »

C’est fini, le pas est franchi. La Gironde a jeté violemment du côté de Robespierre ceux qui ne demandaient que la grande union révolutionnaire. Sous la plume de Lebas, les griefs contre la Gironde iront se précisant et se multipliant.

Mais si la Gironde est affaiblie, si elle s’est portée à elle-même des coups dont l’effet plus ou moins lent sera mortel, elle est puissante encore ; et à défaut de la grande et belle unité qui naît de la concorde, la Convention n’a pas encore l’unité étroite et farouche qui naît de l’élimination totale d’une faction par une autre. Elle est déchirée, bouleversée ; et c’est pourtant devant cette grande assemblée chaotique et orageuse que se posent les plus redoutables problèmes. Voilà maintenant la Révolution en contact avec l’Europe, on peut dire avec le monde. Ses armées débordent par delà les frontières ; mais que fera-t-elle au dehors ? Quelle organisation donnera-t-elle aux peuples ? Quel concours réel, profond, trouvera-t-elle auprès d’eux ? Quel est le secret de l’âme allemande, de l’âme anglaise ? Quel sera l’effet sur les peuples, des événements qui se déroulent ou qui se préparent en France ? Comment accueilleront-ils le jugement du roi, sa mort peut-être ? En renouvelant l’univers, la Révolution va-t-elle se heurter à une force réfractaire et irréductible ou éveiller au contraire des sympathies décisives, ou encore susciter des efforts contradictoires, incertains et mêlés, un mouvement trouble d’adhésion et de résistance ? Que pense vraiment le monde de notre Révolution ? Problème terrible, problème vital : le levier que la France a en main pourra-t-il soulever la masse humaine ? ou se faussera-t-il, et l’universelle servitude