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À Paris, qui après la commotion du Dix Août et les sanglantes épreuves de septembre ne demandait que l’oubli et la concorde, ils avaient déclaré la guerre. Tous ces révolutionnaires hardis qui avaient joué leur tête au Dix Août et qui, ayant abattu la royauté, se croyaient hors de peine, s’étaient demandé un moment si la Gironde n’allait pas les frapper. Quoi ! Échapper au glaive du roi pour tomber sous le couteau de la Révolution ! Il y avait eu en eux une terrible révolte ; et la Gironde les avait obligés à se dire que s’ils ne tuaient pas, ils périraient. À force d’ailleurs d’annoncer des insurrections imaginaires et de prétendus complots dont elle avait besoin pour sa politique de répression et de terreur, la Gironde suggérait au peuple dès la fin de 1792 qu’il faudrait en finir par une insurrection. Et dès le début de janvier le Père Duchesne déclare « qu’une révolution nouvelle se mitonne ». La Gironde est perdue d’avance ; elle a ruiné comme à plaisir les points d’appui sur lesquels elle reposait d’abord. Elle a aliéné ou découragé les sympathies. Elle a tourné contre elle les consciences sobres et droites qui n’avaient ni préventions ni haines.

Le travail qui se fait alors, jour par jour, dans un esprit comme celui de Lebas est bien caractéristique ; c’est le même qu’en l’esprit de Couthon. Et encore l’âme de Lebas était plus neuve, plus nette d’abord de toute impression de parti, plus ouverte à la confiance. J’ai déjà noté sa surprise de ne pas trouver Paris à son arrivée, aussi agité que les journaux et placards de la Gironde l’avaient dépeint ; et sans doute cette première expérience du mensonge girondin fut pour lui un avertissement. Mais il ne s’y arrête pas. Même après les premières séances si pénibles où Buzot sonne un tocsin de guerre civile, il ne prend pas parti ; il se refuse à croire à un déchirement définitif. Il écrit à son père le 29 septembre :

« La Convention va assez bien. Les nouvelles des armées sont satisfaisantes et tout semble nous promettre le succès de la bonne cause. » Le 3 octobre, c’est encore la confiance qui domine, et dans la joie des victoires de la liberté l’impression triste des discordes intérieures est atténuée :

« Les nouvelles que nous avons reçues aujourd’hui et que vous connaîtrez en détail par le bulletin que je vous adresserai demain augmenteront votre espoir que bientôt la terre de la liberté sera purgée des brigands qui avaient voulu la désoler, et qui avaient déjà commencé l’exécution de leurs affreux projets. Indépendamment de quelques petites divisions inséparables des grandes Assemblées surtout en temps de Révolution, la Convention paraît toujours en général animée d’un bon esprit, et destinée à remplir ses hautes destinées. Trop de grands talents s’y font distinguer pour que j’émette sans nécessité une opinion que d’autres développeront mieux que moi. L’essentiel est de bien faire, de bien écouter pour bien opiner, et de ne parler que quand on a à dire une vérité qui sans vous échapperait aux autres. Ce n’est pas de notre gloriole personnelle qu’il s’agit aujourd’hui, mais du salut de la Répu-