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dans l’impartialité débile du philosophe effaré. Écoutez comment il explique les méprises et les malentendus où il fut submergé, pauvre nageur à bout de souffle qui hésite entre deux rivages.

« Dans le sein même de la Convention nationale, lorsque j’y parlai des journées des 2 et 3 septembre, siégeaient des hommes dont les uns étaient soupçonnés d’avoir été les provocateurs et les ordonnateurs des massacres, dont les autres leur donnaient une approbation haute et publique ; il y en avait d’une autre part qui, ayant en horreur les massacres et ceux qui avaient pu les encourager et les protéger, tenaient cette accusation en réserve pour la lancer comme la foudre, dans l’occasion, sur des rivaux de puissance ou d’influence. Aux premiers mots que je prononçai sur les journées des 2 et 3 septembre, à ces mots qui exprimaient et qui appelaient les imprécations de l’humanité tout entière contre ces journées, ceux qui en étaient, au moins, les protecteurs crurent que je venais proposer de les poursuivre : un murmure s’éleva, et je posai les questions et mes principes au milieu d’un bruit confus. Lorsque ensuite, au milieu de ce bruit et de mes paroles qu’il couvrait, on entendit sortir les mots de pitié, de miséricorde, de jubilé politique, ceux qui avaient leurs projets contre les auteurs des massacres crurent que c’était pour ces forfaits que je venais demander une amnistie ou une approbation, et le murmure passa d’un côté de l’Assemblée à l’autre, ou plutôt il fut dans les deux côtés. Le commencement de mon discours fut donc trop bien entendu par les uns, et tout le discours beaucoup trop mal par les autres. Mais de ce que quelques membres du côté droit crurent avoir des reproches à me faire, quelques membres du côté gauche en prirent acte pour me donner des éloges. »

Cette claire analyse idéologique à la Condillac appliquée à ce désastre oratoire a quelque chose d’invinciblement comique ; mais il y a quelque rouerie dans cette affectation d’équilibre ; car qu’importait à la Montagne qu’il gémît au nom de l’humanité sur les massacres de septembre ? Elle gémissait aussi. L’essentiel pour elle était que le ministre de la justice, en liant Septembre à Août, rompit toute la manœuvre scélérate d’ailleurs et funeste de la Gironde. Or Garat avait dit :

« Si ces affreux événements n’ont pas été le produit de l’insurrection, comment donc n’ont-ils pas été prévenus ? Comment n’ont-ils pas été arrêtés ? Comment ne sont-ils pas déjà punis ? Comment tant de sang a-t-il coulé sous d’autres glaives que ceux de la justice, sans que les législateurs, sans que le peuple lui-même aient porté toutes les forces publiques aux lieux de ces sanglantes scènes ? »

De ces paroles, très sensées du reste, Danton s’emparait à bon droit contre la Gironde, et celle-ci, au lieu d’accuser la violence odieuse et effrénée de sa politique, qui mettait naturellement contre elle non seulement les grands cœurs, mais la médiocrité même, accusait Garat de fourberie et de complicité