Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/442

Cette page a été validée par deux contributeurs.

valets de comédie ou des ignorants, des intrigants, leurs pareils, et que les honnêtes gens commençaient à murmurer et à gémir. Je crus qu’il fallait tenter un dernier moyen pour l’éclairer, s’il n’était que séduit, et avérer ses torts s’il était de mauvaise foi. Je lui écrivis, le 11 de novembre, sur le ton de l’amitié, pour lui faire part des murmures qui s’élevaient contre lui, des raisons qui les faisaient naître et de ce que son intérêt semblait dicter. Je disais un mot des sentiments non équivoques que nous lui avions témoignés, de l’ensemble qu’ils donnaient lieu d’espérer, de l’état de choses si contraire à ce qu’ils auraient fait présumer. Pache ne me fit pas la moindre réponse. »

Il trouva sans doute Mme Roland importune et indiscrète. Je crois que sa modestie était sincère, que sa droiture était absolue, il n’avait nullement intrigué pour arriver au ministère, et il se considérait comme lié à la chose publique, non à Roland. Plus tard, lorsque, oublié de presque tous, excepté du Directoire qui le persécute, il se sera retiré dans sa petite ferme des Ardennes, il écrira ces paroles simples et d’une évidente sincérité :

« Dès que je ne suis plus fonctionnaire, je ris de ma nullité comme de celle de tant d’autres. Je ne suis ni orateur, ni écrivain, ni riche, ni intrigant… dans une sincère appréciation de moi-même, sans être indifférent sur mon renom, je n’ai pas été tourmenté de la folie de la gloire » (Mémoire de Pache : sa retraite à Thin-le-Moutier par M. Louis Pierquin, Charleville, 1900).

Sans doute il avait jugé Roland ; il avait vu tout ce que son austérité recouvrait d’orgueil sénile, et comme son action était vaine, toute tournée en ostentation. Il voulait modestement agir ou laisser agir autour de lui les forces révolutionnaires qui émanaient de Danton. Fâcheuse aventure pour les Roland, ainsi « trahis » par leur « créature », et isolés de plus en plus.

Garat avait commis envers la Gironde un crime bien plus impardonnable. C’était un philosophe un peu indécis et terne, sans grande vigueur d’esprit ni chaleur d’âme ; il était assez équilibré et mesuré, mais jusqu’au médiocre, et il cherchait les voies moyennes, par timidité plus encore que par sagesse. Or, en cet état d’esprit, ni il ne se décidait à absoudre les massacres de septembre, ni il ne les condamnait. Tout en les réprouvant, il les rattachait au mouvement insurrectionnel du 10 août. Il allait ainsi, plus peut-être qu’il ne l’avait prévu ou voulu d’abord, contre la tactique de la Gironde qui était obligée de dissocier complètement le Dix Août et les journées de septembre pour pouvoir indéfiniment flétrir celles-ci tout en glorifiant celui-là. De là à accuser Garat de s’être fait l’apologiste du meurtre, il n’y avait pas loin, et la Gironde d’abord, plus tard les thermidoriens, franchirent le pas.

L’infortuné Garat se défend désespérément, dans ses Mémoires, contre cette inculpation. Toute chose grande a en ce monde sa parodie. La haute et ferme raison de Danton, dominant les factions et les haines, a sa caricature