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esprit critique par l’ineptie de la pièce de police apportée par Roland, et il est excédé de l’austère et envahissante vanité de ce bureaucrate médiocre et fielleux qui, pour se faire valoir, crée des fantômes de complots et attise les haines ; Condorcet s’afflige et s’épouvante de l’esprit d’égoïsme et de vertige de la Gironde. Ô grand homme ! vous payerez de votre vie, comme Danton, les fautes commises par d’autres !

Un député proposa, le 31 octobre, qu’aucun membre de la Convention ne pût en dénoncer un autre : c’était une solution un peu naïve, mais, quoique la Convention passât à l’ordre du jour, c’était un indice du malaise croissant où les furieuses agitations de la Gironde jetaient les esprits. Le journal de Brissot s’irrita contre le malencontreux pacificateur :

« C’est ou un patriotisme bien peu éclairé ou un bien perfide esprit de faction qui a dicté à un membre une motion que l’anarchisme seul a pu applaudir ; il a demandé qu’aucun député ne pût en dénoncer un autre, sous aucun prétexte, et il a proposé différentes dispositions pénales contre les infracteurs de cette bizarre loi. Lorsque le reste impur des satellites de Sylla siégeait dans le sénat de Rome, à côté des vrais républicains ; lorsque Catilina et Cethegus paraissaient vis-à-vis de Cicéron et de Caton ; lorsque ces deux amis de la patrie élevaient la voix contre les cruels anarchistes qui voulaient marcher à la tyrannie par le démagogisme, qu’eût fait la majorité pure et inflexible des législateurs romains, si on eût proposé de fermer la bouche aux citoyens assez courageux pour braver les poignards et pour éloigner d’un doigt hardi les conspirateurs et leurs complices ? Le sénat de Rome aurait repoussé avec dédain ou avec indignation cette proposition ou criminelle ou absurde. C’est ce qu’a fait la Convention nationale ; elle est passée à l’ordre du jour malgré quelques clameurs. »

Avec quel art, avec quelle application la Gironde aiguise le couteau de la guillotine qui tranchera toutes ses têtes ! C’est elle qui sera frappée la première comme complice du tyran renversé au 10 août, comme un « reste impur des satellites de Sylla ». Mais la Convention commençait à être rassasiée de toutes ces attaques, et le discours déclamatoire de Louvet avait perdu tout son effet, quand Robespierre, huit jours après, le lundi 5 novembre, monta à la tribune pour se défendre. Il fut modéré, précis, modeste et habile. Visiblement il s’efforça d’opposer aux pompeuses paroles de Louvet une réplique mesurée et substantielle. Il réduisit aisément à rien certaines accusations puériles :

« On m’a fait un crime de la manière même dont je suis entré dans la salle où siégeait la nouvelle municipalité. Notre dénonciateur m’a reproché très sérieusement d’avoir dirigé mes pas vers le bureau. Dans ces conjonctures, où d’autres soins nous occupaient, j’étais loin de prévoir que je serais obligé d’informer un jour la Convention nationale que je n’avais été au bureau que pour faire vérifier mes pouvoirs. »