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l’intention de produire des effets qui, puisqu’il faut le dire, n’étaient pas ceux qu’un homme d’État devrait avoir en vue. Après avoir retracé tout au long le tableau des obstacles que les lois rencontrent à Paris dans leur exécution, les abus d’une administration illégale et anarchique, les torts de quelques hommes et les crimes de plusieurs, M. Roland a cru devoir dénoncer des complots qui, s’ils existaient réellement, feraient désespérer de l’établissement des lois et de toute liberté en France. Comment se prêter à l’idée de voir renouveler les crimes des 2 et 3 septembre ? Comment croire qu’il existe réellement un complot de faire égorger des citoyens qui, à tous égards, ont bien servi la patrie, et dont la vie est liée, jusqu’à un certain point, à la destinée de l’État ? Comment croire enfin à l’existence d’un complot aussi insensé qu’odieux ? On a cité à l’appui la lettre d’un juge du tribunal. Mais cette lettre contient-elle des inductions de preuves ? Pourquoi, dans ce cas, ne pas en suivre la trace devant les tribunaux ? Comment ne pas prévoir que de pareilles dénonciations adressées à la Convention même y jetteraient des ferments de trouble toujours funestes au bien public, y ranimeraient des haines et des préventions, que pour l’intérêt de la patrie, si ce n’est pour celui de la gloire, on devrait chercher à étouffer ? Croit-on que le peuple pourra voir d’un œil froid le temps des délibérations employé à des débats qui n’ont aucun rapport avec ses intérêts et avec les devoirs de ses représentants ? Celui qui les provoque n’est-il pas coupable, en supposant même que les craintes qui paraissent l’agiter ne soient pas chimériques ? Vouloir sans cesse occuper le public de soi, n’est-ce pas vouloir se rendre à tout prix un personnage important ? et cette prétention n’a-t-elle pas son danger dans les républiques, surtout quand elle s’environne avec un appareil de certaines formes austères, et qu’entre le parti qu’on attaque et celui qu’on soutient, on ne suppose d’autre intervalle que celui qui existe entre la scélératesse et la probité, entre le crime et la vertu ?

«… Le rapport de M. Roland semblait avoir pris assez de temps à l’Assemblée et peut-être à la chose publique. On aurait pu s’apercevoir qu’il avait assez envenimé les plaies, que les préventions, les haines, les craintes ont laissées après la journée du 10 ; mais Louvet avait demandé la parole pour accuser Robespierre ; et comme il est bien difficile que tout ce qui émeut les passions n’attire pas l’attention des hommes rassemblés, parce que telle est la nature de l’homme, l’orateur a pu se livrer à tous les ressentiments (la plupart bien justes d’ailleurs) dont son âme était pénétrée.

« On ne dira rien aujourd’hui de ce discours, sinon qu’il a paru préparé de manière à laisser des impressions malheureusement trop durables dans l’esprit d’un grand nombre d’auditeurs, et à faire déplorer aux autres les funestes effets des passions particulières. Ce n’est pas de tout cela dont la chose publique a besoin. »

Condorcet, hier encore pourtant l’ami de la Gironde, est révolté dans son