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Le journal de Prudhomme parle avec tant d’amertume de l’assemblée électorale de Paris, de Robespierre, de Danton et de Marat qui y dominèrent, qu’il est visible que la bonne feuille doctrinaire et sentencieuse a eu des mécomptes électoraux. Elle se console en trouvant que tout est petit :

« Une Convention en général mal choisie, surtout la députation de Paris, qui aurait dû être la meilleure ; une Convention qui devrait être un Atlas, puisqu’elle a, pour ainsi dire, le globe entier à replacer sur l’axe de la raison, et qui éprouve les petites passions de l’enfant débile et mutin. »

Pour Danton, le bon journal a des mots féroces et perfides : « Et toi, Danton, tu te tais aussi, ou tu n’ouvres la bouche que pour désavouer lâchement ton agent subalterne ! »

La communauté des déceptions électorales, à Paris, devait donc rapprocher les journalistes du journal de Prudhomme et les Girondins, et pourtant l’impression produite par le discours de Louvet sur les démocrates fut si fâcheuse qu’il est obligé de le condamner. Carra, dans le compte rendu des Annales patriotiques, se dégage visiblement de la Gironde, il n’est point aimable pour Louvet.

« Louvet entreprend une longue dénonciation contre Robespierre, Marat, Danton, etc., mais c’est principalement Robespierre qu’il attaque et qu’il accuse comme chef d’un parti assassin et liberticide ; il mêle à son récit des mouvements oratoires, il emploie tous les grands ressorts de l’éloquence dans un sujet où peut-être il eût fallu au contraire les écarter… En parlant de Marat, l’orateur emploie un de ces tours qui, pour être exagérés manquent tout leur effet. Il le qualifie d’abord, sans le nommer, d’homme unique dans les fastes du monde, d’enfant perdu de l’assassinat, puis l’ayant nommé, il s’interrompt en s’écriant : « Dieux ! j’ai prononcé son nom ! » Ce mouvement pourra paraître heureux à d’autres ; nous ne le trouvons que froid et puéril. Nous n’approuvons pas davantage cet autre : « Ô comble d’horreur ! un mandat d’arrêt était déjà lancé contre le vertueux Roland ! » Car quelque scélérat qu’on suppose Marat, son nom est encore le meilleur moyen de le désigner, de le signaler à ceux à qui on veut le faire connaître, et quelque vertueux que soit Roland, le comble d’horreur n’est pas un mandat d’arrêt contre lui, lorsqu’on vient de parler de tant d’assassinats exécutés et projetés. »

Ainsi anatomisée, l’éloquence de Louvet n’avait pas des lendemains triomphants.

Le ton de Condorcet est d’une sévérité triste. Il écrit lui-même et sous sa signature, dans la Chronique de Paris du 31 octobre. C’est, sous une forme modérée et avec un accent de douleur contenue, un réquisitoire accablant contre Roland et la Gironde :

« Le ministre de l’intérieur est venu présenter un mémoire sur la situation politique de Paris. Le goût des préambules, si familier aux anciens ministres, y a paru un peu trop marqué pour ne pas laisser entrevoir d’avance