Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/430

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les meilleurs patriotes, je t’en accuse, car je pense que l’honneur des bons citoyens et des représentants du peuple ne t’appartient pas.

« Je t’accuse d’avoir calomnié les mêmes hommes avec plus de fureur à l’époque des premiers jours de septembre, c’est-à-dire dans un temps où les calomnies étaient des proscriptions.

« Je t’accuse d’avoir, autant qu’il était en toi, persécuté, avili la représentation nationale et de l’avoir fait méconnaître, persécuter, avilir.

« Je l’accuse de t’être continuellement produit comme un objet d’idolâtrie, d’avoir souffert que devant toi l’on dît que tu étais le seul homme vertueux de la France, le seul qui pût sauver la patrie et de l’avoir donné vingt fois à entendre toi-même.

« Je t’accuse d’avoir tyrannisé l’assemblée électorale de Paris par tous les moyens d’intrigue et d’effroi.

« Je t’accuse d’avoir évidemment marché au suprême pouvoir, ce qui est démontré, et par les faits que j’ai indiqués et par toute ta conduite qui pour t’accuser parlera plus haut que moi.

« Je demande que l’examen de ta conduite soit renvoyé à un Comité.

« Législateurs, il est au milieu de vous un autre homme dont le nom ne souillera pas ma bouche, un homme que je n’ai pas besoin d’accuser, car il s’est accusé lui-même. Lui-même il vous a dit que son opinion était qu’il fallait faire tomber 200,000 têtes ; lui-même il vous a avoué ce qu’au reste il ne pouvait nier, qu’il avait conseillé la subversion du gouvernement, qu’il avait provoqué l’établissement du tribunat, de la dictature, du triumvirat ; mais quand il vous fit cet aveu, vous ne connaissiez peut-être pas encore toutes les circonstances qui rendaient ce délit vraiment national ; et cet homme est au milieu de vous ! Et la France s’en indigne, et l’Europe s’en étonne. Elles attendent que vous prononciez.

« Je demande contre Marat un décret d’accusation (Murmures à l’extrême gauche ; applaudissements sur les autres bancs) et que le Comité de sûreté générale soit chargé d’examiner la conduite de Robespierre et de quelques autres »

Mais pourquoi cette différence entre Marat et Robespierre ? Pourquoi décréter d’emblée la mise en accusation du premier et demander une enquête seulement sur le second ? Louvet avouait donc par là que lui-même n’avait pas une confiance absolue dans la force de sa preuve, car si le crime de Robespierre prétendant au pouvoir suprême et y marchant en effet avait été démontré, il était bien plus grave que tous les propos de Marat. Ni Louvet, ni la Gironde ne se sentirent capables d’entraîner la Convention à un vote décisif contre Robespierre. La déception de la Convention était grande. Ce qu’elle attendait des Girondins, ce n’était point la preuve que dans la crise révolutionnaire d’où la République était sortie Robespierre avait manœuvré pour accroître le plus possible son influence politique et celle de la Commune.