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vrages les plus graves, dont les principes et la manière déposent également en faveur de son âme et de ses talents. Il a prouvé que sa main habile pouvait alternativement secouer les grelots de la folie, tenir le burin de l’histoire, et lancer les foudres de l’éloquence. Il est impossible de réunir plus d’esprit à moins de prétention et plus de bonhomie ; courageux comme un lion, simple comme un enfant, homme sensible, bon citoyen, écrivain vigoureux, il peut faire trembler Catilina à la tribune, dîner chez les Grâces et souper avec Bachaumont.

« Sa Catilinaire ou Robespierride méritait d’être prononcée dans un Sénat qui eût la force de faire justice ! »

Hélas ! Et Mme Roland qui se fait presque minaudière et régence pour parler des Grâces et de Bachaumont accablait Danton de sa pruderie ! Comme l’esprit de parti et de coterie a des ressources profondes d’hypocrisie, même dans les âmes droites et nobles !

C’est un roman pitoyable que Louvet porta à la tribune ; et il tenta en vain d’imiter le bruit de la foudre en secouant des grelots fêlés. Dans ce corps à corps suprême avec Robespierre, il fallait des coups droits et sûrs, des accusations précises, des faits certains. Il ne fit que ressasser les vagues accusations de dictature, il reprocha à Robespierre son influence aux Jacobins ; et quand il voulut préciser, ses griefs ou furent misérables ou furent faux. Écoutez un des crimes de Robespierre : c’est d’avoir été prendre séance après le Dix Août, au Conseil général de la Commune provisoire dont Louvet lui-même faisait partie :

« Représentants du peuple, une journée à jamais glorieuse, celle du Dix Août, venait de sauver la France. Deux jours encore s’étaient écoulés ; membre de ce Conseil général provisoire (Murmures), j’étais à mes fonctions, un homme entre, et tout à coup il se fait un grand mouvement dans l’assemblée. Je regarde, et j’en crois à peine mes yeux… c’était lui, c’était Robespierre. Il venait s’asseoir au milieu de nous. Je me trompe, il était déjà allé se placer au bureau ; depuis il n’y avait plus d’égalité pour lui. »

Que penser de l’enfantillage de ce trait de Louvet ! Mais voici une accusation plus redoutable… si elle est vraie :

« L’Assemblée législative, elle, était journellement tourmentée, méconnue, avilie, par un insolent démagogue qui venait à la barre lui ordonner des décrets, qui ne retournait au Conseil général que pour la dénoncer, qui revenait jusque dans la Commission des vingt-et-un, menacer du tocsin… »

Là-dessus, et avant même que Louvet se soit expliqué, l’indignation contre Robespierre éclate. En vain, Billaud-Varennes s’écrie : « C’est faux ! » Sa voix est couverte par les clameurs, par les affirmations des témoins qui soutiennent Louvet. L’émotion semble déborder bien au delà de la Gironde. Pendant que de nombreux Conventionnels désignent Robespierre d’un geste accusateur et menaçant, Cambon, qui ne peut oublier les humiliations et les frayeurs