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plète qu’il fallait encore une nouvelle saignée, mais plus copieuse que la première. « Nous avons, disait-il, la cabale Roland et Brissot dont il faut nous « défaire ; on s’en occupe, et j’espère, poursuivait-il, que sous quinze jours « au plus tard, ce sera fait. » Faites, je vous en conjure, le profit de la société de l’avis que je vous donne. Je n’ai pas voulu demander le nom de ce particulier, parce que j’ai craint que l’on soupçonnât l’usage que je voulais faire. Cependant si vous êtes jaloux de le savoir, je pourrais vous le dire sous deux jours au plus tard. Il est temps et grand temps d’arrêter la fureur des assassins. Je gémis à mon particulier de voir les horreurs qu’on nous prépare Buzot leur déplaît beaucoup, Vergniaud, Guadet, Lasource, etc., voilà ceux que l’on nomme pour être de la cabale de Roland ; ils ne veulent entendre parler que de Robespierre. »

Un membre : « Ah ! le scélérat ! »

« Je ne signe pas, et vous savez bien que ce n’est pas la confiance qui me manque, mais je crains de vous compromettre. Je ne connais guère qu’un moyen de tempérer l’ardeur des assassins : ce serait de solliciter la loi déjà proposée contre les provocations au meurtre, et sitôt qu’elle serait promulguée, de mettre à leurs trousses des gens sûrs qui les dénonçassent. Si on en punissait un seul, il n’y aurait plus de prédicateurs de l’assassinat, et l’ordre régnerait incessamment.

« L’accusateur public est grand ami du quidam chez lequel j’étais. Il lui a fait tenir une lettre au tribunal ; mais j’ignore ce qu’elle contient.

« L’homme dont on ne savait pas le nom c’est un nommé Fournier l’Américain, demeurant rue Neuve-du-Luxembourg, chez un apothicaire.

« Je soussigné, certifie que la présente lettre m’a été adressée par le citoyen Marcandier, qui connaît mon amour pour la patrie. En foi de quoi, j’ai signé le présent, aujourd’hui vingt-six octobre mil sept cent quatre-vingt douze, l’an premier de la République.

« Signé : Dubail, vice-président de la seconde section du tribunal criminel de Paris, rue de Vaugirard.

« Pour copie conforme : signé, Roland. »

Et le procès-verbal note : Vif mouvement d’émotion. Quoi ? de l’émotion pour ce chiffon de police inepte et abject ? Ce ne pouvait être qu’une émotion girondine, une émotion calculée et feinte : car que signifie ce document plus que bizarre ? D’abord la lettre est destinée à être mise sous les yeux du ministre de la justice, et elle est adressée au sieur Dubail qui la transmet. Son auteur ne signe pas pour ne pas compromettre le destinataire ; et le destinataire en connaît néanmoins le nom et s’empresse de le livrer à la publicité. Tout cela, ce sont évidemment de petits moyens de policiers cherchant à intriguer Garat, le ministre de la justice, et à se pousser auprès de lui. Je ne sais si je me trompe, mais je reconnais dans ce factum la manière prétentieuse, sententieuse, dilatoire et vague de « l’observateur