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dessus du soupçon, lui surtout qui a si longtemps été à portée de voir de près tous les moyens de corruption employés dans l’Assemblée Constituante. »

Marat gardait une sorte de respect pour l’indéniable probité de Buzot ; il ne démêlait pas bien, sans doute, les causes de son attitude soudainement agressive : il n’avait pas entrevu les sources profondes d’orgueil, d’amertume et d’amour d’où jaillissaient les paroles irritées : mais il sentait qu’il n’avait point en face de lui un adversaire méprisable.

C’est surtout dans le conflit entre la Convention et la Commune que Marat affirma sa tactique de sagesse et de modération. Tout son numéro du 8 octobre est remarquable d’esprit politique, de clairvoyance et de mesure.

« Je ne fais aucun reproche à la Convention d’avoir affecté le mode de scrutin secret à l’élection du maire et des municipaux ; je sais qu’il y a de bonnes raisons pour et contre ; mais je regrette infiniment qu’elle se laisse aller quelquefois aux impulsions des rhéteurs qui mettent en jeu sa sensibilité ou son amour-propre.

« Je regrette qu’elle néglige de consulter l’opinion publique avant de se décider, tant pour la suivre dans tout ce qui est convenable, que pour la ramener au vrai lorsqu’elle s’est égarée. C’est ce que la Convention a oublié de faire au sujet du mode d’élection ; plusieurs départements et plusieurs sections de Paris ont déjà adopté celui de l’appel nominal. Pourquoi donc, disent les citoyens, ne prendrions-nous pas pour nous un mode d’élection que l’assemblée conventionnelle a pris pour elle-même ? (Le fait est inexact ; il n’y eut qu’un très petit nombre d’élections à la Convention où il fut procédé par scrutin public.) Nous ne pouvons mieux faire. Or, une fois persuadés de cette opinion, ils ne voient plus qu’un caprice dans le décret qui leur enjoint de s’en tenir au scrutin secret, et bien convaincus qu’il n’y a point de lois stables sans la sanction du peuple, ils croient pouvoir jouir d’avance des droits qu’ils seront appelés à exercer dans le temps… Aujourd’hui que plusieurs départements se sont décidés, il importe d’arrêter des remontrances pour leur faire sentir les raisons que le législateur avait d’en agir autrement, et plier doucement les esprits à la loi sans les révolter en compromettant son autorité. Quelles que soient les préventions que mes ennemis ont inspirées contre moi, j’aurais fait sur cet objet quelques observations importantes à l’autorité et à la gloire de la Convention, si j’avais pu me promettre d’en être écouté favorablement ; quoi qu’il en soit, je vois avec douleur que les sections de Paris et les départements qui ont passé outre n’aient pas eu le bon esprit d’attendre quelque temps pour que l’Assemblée prononçât ; je les conjure au nom du salut public de ne pas lutter aujourd’hui avec le législateur. Il est de leur intérêt comme de sa gloire de l’environner de respect ; sans doute, il faut l’observer en silence, et le remettre doucement sur la voie, mais si jamais il venait à violer les droits du peuple et des citoyens c’est alors seulement qu’il sera temps d’opposer la résistance. »