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Quoi donc ? Ce n’est plus qu’une question de forme ? Le peuple est excusable, mais ses magistrats, parce qu’ils sont magistrats, sont coupables ? Et qu’aurait répondu Vergniaud si on lui avait dit que dans les périodes de calme les magistrats du peuple sont en effet les gardiens de la loi, mais que dans les jours révolutionnaires et quand les magistrats eux-mêmes sont suscités par la Révolution, ils ne sont que l’expression suprême de la passion et de la force du peuple ? Insondables abîmes que nul ne pouvait combler et qu’il ne fallait point ouvrir. Par ses attaques insensées, la Gironde aboutissait à ce singulier résultat : Marat et Vergniaud semblaient d’accord ou pour glorifier ou tout au moins pour excuser les massacres de septembre. Non, il n’y avait qu’une politique : tirer un voile, selon l’expression première de Roland répétée par Vergniaud, et se tourner vers l’avenir.

Marat, très habilement, après avoir constaté par l’audace même de ses paroles l’impuissance de la Convention à condamner les massacres de septembre, commence à glisser un désaveu partiel. Il sent, malgré tout, le poids de ces journées de meurtre, et après les avoir revendiquées avec une sorte de bravade, il semble les éloigner de lui.

« Ce sont les scènes sanglantes des 14 juillet, 6 octobre, 10 août, 2 septembre, qui ont sauvé la France… Que n’ont-elles été dirigées par des mains habiles ?

« J’ai frémi moi-même des mouvements impétueux et désordonnés du peuple lorsque je les vis se prolonger, et pour que ces mouvements ne fussent pas éternellement vains, et qu’il ne se trouvât pas dans la nécessité de les recommencer, j’ai demandé qu’il nommât un bon citoyen, sage, juste et ferme, connu par son ardent amour de la liberté, pour diriger ses mouvements et les faire servir au salut public. Suivez mes écrits : c’est dans cette vue que j’ai demandé que le peuple se nommât un dictateur ou tribun militaire. »

Ainsi c’est pour modérer les massacres qu’il demande un dictateur du meurtre, et comment la Gironde, qui n’ose pas, qui ne peut pas désavouer les massacres de septembre, pourra-t-elle flétrir la combinaison imaginée par Marat pour les modérer ? Il n’y avait vraiment de solution que l’amnistie générale et le silence. Mais comme Marat, sous prétexte que les mouvements populaires se corrompent par leur désordre et se perdent par leur anarchie, commence subtilement à désavouer les journées de septembre ! Un peu plus tard, comme je l’ai déjà noté, il accentuera le blâme et ne parlera plus que des désastreux événements de septembre. Et enfin il arrivera à se persuader à lui-même que c’est la contre-révolution qui a fait ces journées sinistres. Ou tout au moins il l’écrira dans son numéro du 17 novembre : « Après qu’un grand nombre de contre-révolutionnaires eurent provoqué le massacre des prisons, pour ensevelir dans la nuit éternelle de l’oubli quelques-uns de leurs complices qui s’y trouvaient renfermés, tremblants que ceux qui avaient trouvé moyen d’échapper au carnage ne vinssent à parler, ou que leurs propres ma-