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plots, déjouer leurs, intrigues ; il faut les démasquer et les réprimer dans nos camps, dans nos sections, à nos municipalités, nos directoires, nos tribunaux, dans la Convention nationale, elle-même. Comment y parvenir si les amis de la patrie ne s’entendent pas, s’ils ne réunissent leurs efforts ! Ils pensent tous qu’on peut triompher des malveillants sans s’en défaire. Soit, je suis prêt à prendre les voies jugées efficaces par les défenseurs du peuple ; je dois marcher avec eux.

« Amour sacré de la patrie, je t’ai consacré mes veilles, mon repos, mes jours, toutes les facultés de mon être ; je t’immole aujourd’hui mes préventions, mes ressentiments, mes haines. À la vue des attentats des ennemis de la liberté, à la vue de leurs outrages contre ses enfants, j’étoufferai, s’il se peut, dans mon sein, les mouvements d’indignation qui s’y élèveront ; j’en tendrai, sans me livrer à la fureur, le récit du massacre des vieillards et des enfants égorgés par de lâches assassins ; je serai témoin des menées des traîtres à la patrie, sans appeler sur leurs têtes criminelles le glaive des vengeances populaires.

« Divinité des âmes pures, prête-moi des forces pour accomplir mon vœu ! Jamais l’amour-propre ou l’obstination ne s’opposera chez moi aux mesures que prescrit la sagesse ; fais-moi triompher des impulsions du sentiment, et si les transports de l’indignation doivent, un jour, me jeter hors des bornes et compromettre le salut public, que j’expire de douleur avant de commettre cette faute ! »

Ce que vaudra ce vœu de Marat et combien de temps il y sera fidèle, on le devine rien qu’aux imprécations qui s’y mêlent. Mais enfin ses amis, ceux qu’il appelle lui-même les défenseurs de la liberté, obtiennent de lui, à ce moment, qu’il renonce à toute provocation au meurtre, qu’il abandonne cette idée d’une dictature de sang qui était jusque-là tout son programme. Marat, à cette date, n’a plus confiance en lui-même, en ses conceptions et en ses méthodes. Il s’épouvante des suspicions qui grandissent autour de lui. Il se demande si, avec sa manie de tribunal militaire ou de triumvirs, il n’a pas fourni à la Gironde le prétexte souhaité à la terrible accusation de dictature et de triumvirat portée contre Robespierre, Danton, et lui-même. Et il était perdu si la Gironde avait eu assez de sagesse et de hauteur d’esprit pour le laisser se débattre en ces contradictions et ces désaveux, si elle avait eu assez de désintéressement pour ne pas tenter d’exploiter contre toute une partie de la Révolution, contre la démocratie robespierriste, contre Paris, contre Danton, l’horreur qu’inspirait Marat. Mais la Gironde, en cette première période décisive de la Convention, ne songea qu’à écraser ses rivaux. Il lui était facile de grouper à peu près toutes les forces, de hâter le jugement du roi, de préparer, par l’accord de tous les révolutionnaires, une Constitution démocratique et populaire où la force du pouvoir serait vraiment l’instrument de la volonté nationale. Il lui était facile de donner aux armées l’impulsion