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faveur de Condorcet et Sieyès, qui ne pouvaient espérer d’être nommés par celui de Paris, dont ils étaient trop connus. On n’a pas oublié que c’est à cette faction, si longtemps prostituée à Mottié, que nous devons la guerre avec les puissances liguées, la fatale sécurité où elle nous a entretenus par l’étalage trompeur des forces que nous n’avions point, l’aveugle confiance que nous avions en nos généraux perfides, et les malheurs qui en ont été la suite inévitable.

« J’abandonne mes lecteurs à leurs réflexions. Qu’ils n’aillent cependant pas conclure que la grande majorité de la Convention nationale soit mal composée ; je la crois excellente, malgré ce début ; elle a pu, sans doute, être entraînée d’abord par des intrigants ; mais elle ne tardera pas à ouvrir les yeux, et elle marchera désormais d’un pas ferme dans le chemin de la liberté, lorsqu’il sera question de consacrer les droits du peuple, d’établir l’empire de la justice et de sauver la patrie. »

Ainsi Marat se surveille et se contraint jusqu’à louer une Assemblée dont le premier acte a été de porter à son bureau la faction girondine. Il annonce lui-même, expressément, sous le titre : Nouvelle marche de l’auteur, qu’il va mettre une sourdine à ses attaques, faire violence à ses colères. Il sent qu’à continuer ses polémiques sans mesure ou ses excitations sanglantes, il deviendra suspect même aux plus ardents patriotes ; et plus encore que Robespierre, c’est à une attitude défensive que d’abord il est réduit :

« Depuis l’instant où je me suis dévoué pour la patrie, je n’ai cessé d’être abreuvé de dégoûts et d’amertume ; mon plus cruel chagrin n’était pas d’être en butte aux assassins, c’était de voir une foule de patriotes sincères mais crédules se laisser aller aux perfides insinuations, aux atroces calomnies des ennemis de la liberté sur la pureté de mes intentions, et s’opposer eux-mêmes au bien que je pouvais faire. Longtemps mes calomniateurs m’ont représenté comme un traître qui vendait sa plume à tous les partis ; des milliers d’écrits répandus dans la capitale et les départements propageaient ces impostures ; elles se sont évanouies en me voyant attaquer également tous les partis antipopulaires ; car le peuple dont j’ai toujours défendu la cause aux dépens de ma vie ne soudoie jamais ses défenseurs.

« Cette arme meurtrière, je l’ai brisée dans les mains de mes calomniateurs, mais ils n’ont cessé de m’accuser de vénalité que pour m’accuser de fureur : les lâches, les aveugles, les fripons et les traîtres se sont réunis pour me peindre comme un fou atrabilaire, invective dont les charlatans encyclopédistes gratifiaient l’auteur du Contrat social. Trois cents prédictions sur les principaux événements de la Révolution justifiées par le fait m’ont vengé de ces injures ; les défaites de Tournai, de Mons, de Courtrai, le massacre de Dillon, de Semonville, l’émigration de presque tous les officiers de ligne, les tentatives d’empoisonner le camp de Soissons, la destitution successive de Mottié,