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tout qu’elle soit imposante autant que prompte et terrible. L’exercice de ces nouvelles fonctions était incompatible avec celles de représentant de la commune qui m’avaient été confiées ; il fallait opter ; je suis resté au poste où j’étais, convaincu que c’était là où je devais actuellement servir la patrie. »

Pitoyable sophisme et dont il serait humiliant d’être dupe. Il ne s’agissait point là d’inimitiés personnelles ; et Robespierre le plus souvent s’était abstenu de désignations individuelles. D’ailleurs, en ces sortes de procès, tout citoyen est à la fois juge et partie, et quel est le révolutionnaire, quel est le patriote du Dix Août qui ne pouvait alléguer aussi qu’il avait été l’ennemi direct de ceux qu’il fallait juger ? Danton avait-il donc refusé sous ce prétexte le ministère de la justice ? Non, il y avait, au contraire, un intérêt de premier ordre à ce que le tribunal criminel fût présidé par un homme qui inspirait toute confiance à la Révolution.

Cela donnait au peuple les garanties de vigueur et de sincérité dont il avait besoin. Et en même temps, fort de la confiance qu’il inspirait, le président du tribunal révolutionnaire pouvait rester modéré et juste. Il dépendait peut être de Robespierre, en acceptant, d’épargner à la Révolution les massacres que Marat demandait et que tout Paris pressentait dès lors lugubrement. Robespierre se déroba, par peur des responsabilités, par calcul savant d’ambition. Acceptant, il aurait dû prendre sur lui, ouvertement, la charge des jugements rigoureux qui allaient être rendus au nom de la patrie trahie, de la liberté outragée. Il aurait dû prendre aussi devant le peuple surexcité la responsabilité plus lourde encore des acquittements. Ou bien il aurait cédé à toutes les impulsions de la vengeance populaire, et il se ravalait du rôle de juge à celui de bourreau. Ou bien il aurait résisté parfois, et opposé l’humanité et la raison aux fureurs de la vengeance, et il risquait de perdre au service de la Révolution une part de son crédit. Robespierre n’aimait pas les fonctions décisives où des actes précis entraînent des responsabilités déterminées ; il préférait le rôle de conseiller où l’habile équilibre des phrases et l’ingénieuse combinaison des attitudes permettent d’éluder les responsabilités définies et directes. Peut-être, s’il avait eu le courage d’accepter, le peuple n’aurait-il pas eu le furieux accès d’impatience et de soupçon des journées de septembre. Peut-être la Commune qui, en septembre, laissa faire le peuple serait-elle intervenue pour arrêter un mouvement dirigé, en somme, contre le tribunal criminel convaincu d’insuffisance et de lenteur aussi bien que contre les prisonniers.

Et si Robespierre avait laissé, un moment, dans cette difficile et redoutable fonction, une part de son crédit révolutionnaire, c’est au service de la Révolution qu’il l’eût dépensé. Il n’osa pas, et par égoïsme d’ambition, il refusa le péril. Je considère que par ce refus, il a assumé, dans les journées de septembre une grande part de responsabilité. Quand M. Hamel, en son zèle outré