Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/377

Cette page a été validée par deux contributeurs.

juste que vous vous épuisiez pour ces peuples : ils doivent soulager notre trésor public, et dès lors nous avons moins de dépenses à faire pour entretenir nos armées. »

Redoutable expédient ! Il faut, en second lieu, soutenir la valeur de l’assignat, et cela de deux manières. Il faut d’abord assurer le crédit public en écartant à jamais toute pensée, toute tentative de démembrement fédéraliste, car avec des provinces fédérées que deviendrait l’assignat, signe central et national ?

« Je n’ose le dire, si l’empire venait à se démembrer, l’homme qui attache quelque prix à l’aisance se demande à lui-même ce que deviendraient en ses mains des richesses fictives dont le cours serait circonscrit. Vous avez juré de maintenir l’unité, mais la marche des événements est au-dessus de ces sortes de lois, si la constitution ne les consacre pas. »

Mais surtout, il est nécessaire de limiter les émissions.

« Le vice de notre économie étant dans l’excès du signe, nous devons nous attacher à ne pas l’augmenter, pour ne pas accroître la dépréciation. Il faut décréter le moins de monnaies qu’il nous sera possible ; mais, pour y parvenir, il faut diminuer les charges du trésor public, soit en donnant des terres à nos créanciers, soit en affectant les annuités à leur acquittement, sans créer de signe ; car cette méthode corrompt l’économie, et, comme je l’ai démontré, bouleverse la circulation et la proportion des choses. Si vous vendez, par exemple, les biens des émigrés, le prix anticipé de ces fonds, inertes par eux-mêmes, sera en circulation et se mesurera contre les produits qui représentent trente fois moins. Comme ils seront vendus très cher, les produits renchériront proportionnellement, comme il est arrivé des biens nationaux et vous serez toujours en concurrence avec vous-mêmes. » (Notez au passage que Saint-Just constate aussi que les biens nationaux ont été vendus très cher.)

Je ne sais ce que valait la combinaison indiquée par Saint-Just. Sans doute, les créanciers de l’État n’auraient pas accepté en remboursement ces contrats à terme ; et s’ils les avaient négociés, c’est une autre forme de papier qui serait venue faire concurrence aux assignats, et qui aurait surchargé la circulation comme firent plus tard les mandats territoriaux. Je ne discute pas non plus les thèses économiques particulières de Saint-Just. La hausse des prix qu’il signale depuis 1763 ne tient probablement pas à la réduction des pâturages et de l’élevage, mais à l’accroissement général de la vie économique et à l’abondance du numéraire. L’intérêt de son discours n’est pas là. Il est dans la vigueur, dans la netteté avec lesquelles, s’élevant au-dessus du problème des subsistances, il posait la question générale :

« Vous déciderez si le peuple français doit être commerçant ou conquérant. »

Et surtout, ce qui est à retenir, c’est le pressentiment des crises pro-