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« On dit que les journées de l’artisan augmentent en proportion du prix des denrées, mais si l’artisan n’a point d’ouvrage, qui paiera son oisiveté ? Il y a dans Paris un vautour secret. Que font maintenant tant d’hommes qui vivaient des habitudes du riche ? La misère a fait naître la révolution, la misère peut la détruire. Il s’agit de savoir si une multitude qui vivait, il y a peu de temps, des superfluités, du luxe, des vices d’une autre classe, peut vivre de la simple corrélation de ses besoins particuliers. Cette situation est très dangereuse ; car si l’on n’y gagne que pour ses besoins, la classe commerçante n’y peut point gagner pour ses engagements, ou le commerce, étant enfin réduit à la mesure de ses modiques besoins, doit bientôt périr par le change. Ce système ruineux s’établira dans tout l’empire. Que ferons-nous de nos vaisseaux ? Le commerce d’économie a pris son assiette dans l’univers ; nous ne l’enlèverons point aux Hollandais, aux Anglais, aux autres peuples. D’ailleurs, n’ayant plus ni denrées à exposer, ni signe respectable chez l’étranger, nous serions enfin réduits à renoncer à tout commerce.

« Nous ne nous sommes pas encore demandé quel est notre but et quel système de commerce nous voulons nous frayer. Je ne crois pas que votre intention soit de vivre comme les Scytes et les Indiens. Nos climats et nos humeurs ne sont propres ni à la paresse ni à la vie pastorale, et cependant nous marchons, sans nous en apercevoir, vers une vie pareille.

«… Le laboureur, qui ne veut point mettre de papier dans son trésor, vend à regret ses grains. Dans tout autre commerce, il faut vendre pour vivre de ses produits. Le laboureur, au contraire, n’achète rien : ses besoins ne sont pas dans le commerce. Cette classe était accoutumée à thésauriser tous les ans en espèces une partie du produit de la terre ; aujourd’hui, elle préfère de conserver ses grains à amasser du papier. Il résulte de là que le signe de l’État ne peut point se mesurer avec la partie la plus considérable des produits de la terre qui sont cachés, parce que le laboureur n’en a pas besoin et ne met guère dans le commerce que la portion des produits nécessaires pour acquitter ses fermages.

« Quelqu’un ici s’est plaint du luxe des laboureurs. Je ne décide pas si le luxe est bon en lui-même ; mais si nous étions assez heureux pour que le laboureur aimât le luxe, il faudrait bien qu’il vendît son blé pour acheter les superfluités. Il faudra du luxe dans votre République ou des lois violentes contre le laboureur qui perdront la République.

«… Il faut donc que le législateur fasse en sorte que le laboureur dépense ou ne répugne point à amasser le papier ; que tous les produits de la terre soient dans le commerce et balancent le signe. Il faut équipoller les signes, les produits, les besoins : voilà le secret de l’administration économique… L’empire est ébranlé jusque dans ses fondements ; la guerre a détruit les troupeaux ; le partage et le défrichement des communes achèvera leur ruine ; et nous n’aurons bientôt ni vins, ni viandes, ni toisons. Il est à