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s’il est vrai que la société ne viole pas ma propriété en s’emparant légalement de la matière qui produit, parce qu’elle m’en paie la valeur, pourquoi n’en serait-il pas de même de la production ? »

Assez longtemps la Convention se déroba, ajourna toute résolution précise. Robespierre, lui, toujours prudent, s’était tenu dans le vague. Malgré les sommations et les railleries des modérés, il n’avait formulé aucun système, mais il avait défini et limité le droit de propriété de telle sorte qu’une vigoureuse législation protectrice du peuple pouvait à l’heure décisive intervenir.

« Quel est le premier objet de la société ? C’est de maintenir les droits imprescriptibles de l’homme. Quel est le premier de ces droits ? Celui d’exister.

« La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là, la propriété n’a été instituée ou garantie que pour la cimenter ; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes. Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est nécessaire pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonné à l’industrie des commerçants. »

Il serait assez vain de chercher aujourd’hui qui avait raison à ce moment de ceux qui comptaient, pour corriger une hausse selon eux passagère, sur la seule vertu de la libre concurrence, ou de ceux qui appelaient l’intervention de l’État. La querelle du libéralisme économique et de l’interventionnisme n’est pas close. En ce qui touche les subsistances l’expérience a montré enfin, dans le cours du dix-neuvième siècle, que le commerce libre suffisait à assurer en effet l’approvisionnement en blé du pays, et si les socialistes demandent aujourd’hui un service national d’approvisionnement, ce n’est point pour parer à des chances de disette qui sont définitivement écartées ; c’est pour des raisons d’un autre ordre. Mais en 1792, avec toutes les causes de perturbation qui pouvaient fausser la vie économique, avec les inévitables inquiétudes et défiances populaires, avec le trouble des prix qui résultait des assignats, avec les manœuvres d’accaparement qui étaient la suite de ce trouble, la Révolution ne pouvait se sauver que par une vigoureuse intervention de la loi, par une organisation nationale et révolutionnaire du service des subsistances, et de toute la vie économique du pays. En octobre et novembre la crise n’est pas encore assez forte, et la volonté prolétarienne n’est pas encore assez dominante pour emporter d’emblée les hésitations et les résistances. Mais toute une élaboration théorique du droit à la vie, supérieure au droit de propriété, et tout un mouvement populaire de revendication et d’action préparent et annoncent le prodigieux effort du maximum. Ce n’est pas seulement