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d’en calculer les tristes effets, si elle devait un jour servir de base à une loi…

« Eh ! quoi ! parce que le laboureur gagnerait plus à la Révolution qu’un autre en intérêts pécuniaires, voudriez-vous pour cela le soumettre à des formes, plus vexatoires, plus tyranniques que n’était pour lui le système féodal !… Eh ! quoi ! citoyens cultivateurs, les avantages que vous promettait la Révolution n’auraient été pour vous qu’une illusion, mensongère ! Vous n’auriez donc connu un instant la liberté que pour reprendre des fers plus avilissants ! Croyez-moi, si vous devez encore être la bête de somme de ces oisifs insolents, consentez, au partage des terres ; proposez vous-mêmes la loi agraire, cédez à ces marchands de paroles, à ces pitoyables aboyeurs, une partie de vos champs : qu’ils quittent leurs plumes vénales ; que leurs mains délicates viennent féconder la terre que vos malheurs ont longtemps arrosée de vos larmes, et qui a trop longtemps nourri leur vertueuse indolence ; alors vous connaîtrez leur nullité ; eux-mêmes devenus plus justes, plus sages, connaîtront vos services et vous serez vengés. »

C’est un ton de réaction furieuse : on dirait une Ligue de grands fermiers exaspérés, de capitalistes du sol prêts à se ruer sous la protection du despotisme. Du reste, la menace de Serre est explicite.

« Si vous exigiez l’application de ces lois par la force, vous armeriez infailliblement le citoyen contre le citoyen, et par là vous serviriez mieux le tyran d’Autriche que les satellites de Brunswick, ou plutôt vous aplaniriez le chemin de la royauté à quiconque serait tenté d’y parvenir. »

Ainsi déjà les parvenus de la Révolution, ceux qu’elle a affranchis et enrichis, sont prêts à la renier plutôt que de payer les frais de la défense révolutionnaire, car c’est bien de cela qu’il s’agit.

La crise des prix est évidemment l’effet de la multiplication des assignats, et c’est surtout pour parer aux dépenses de guerre, pour sauver la Révolution menacée par les traîtres et les despotes, qu’il a fallu multiplier les assignats. Quoi donc de plus raisonnable que de prévenir, par des mesures légales, la hausse excessive des grains en cette période de crise ? Et si ces mesures ne vont pas sans quelque vexation et sans quelque ennui, l’ingratitude est monstrueuse de se rebeller et de conspirer déjà, par de secrètes espérances de réaction, avec les menées contre-révolutionnaires. Oh ! ce ne sont encore que des velléités ; mais dans le déséquilibre économique et social de cette fin d’année 1792, au moment où le peuple, pour assurer sa subsistance, développe son action sur l’État et conçoit la loi comme l’instrument du salut commun, la classe des riches commence à désirer une politique de consolidation qui lui assure tout le bénéfice des avantages acquis en écartant toute agitation nouvelle. Serre traduit avec une sorte de fureur rétrograde cet état d’esprit. Mais tel est le trouble subi à ce moment par les relations des prix que, lui-même, après avoir dénoncé tout projet de taxation et de maximum