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peut sauver la Révolution, des révolutionnaires engagent la lutte contre les gros fermiers, contre les riches paysans qui avaient été jusque-là les favoris de la Révolution. « Législateurs, dit Beffroy, le principe des accaparements, la cause première et puissante de renchérissement successif des grains, des viandes, du beurre, des œufs, de la volaille, des laines, des cuirs, de la corne, des suifs, des lins et des chanvres, tient directement et particulièrement à l’accaparement des exploitations. C’est là qu’il faut attaquer le mal pour en extirper la cause. Dès qu’elle sera détruite, l’équilibre se rétablira de lui-même… L’Assemblée Constituante me paraît s’être étrangement méprise à cet égard. Avec le désir d’encourager l’agriculture, elle mit entre les mains de ceux que je ne sais pourquoi l’on nomme grands cultivateurs, de ces hommes qui réunissent d’immenses exploitations, les moyens de tout engloutir. Elle en fit, sans le vouloir apparemment, une classe privilégiée dans l’instant même de la suppression des privilèges et des distinctions. Ils surent tellement en profiter qu’ils sont maintenant dans la République ce qu’étaient les grands dans la monarchie. C’est par leur cupidité, leur inhumanité, c’est par la plus dure des aristocraties qu’ils se font distinguer ; et, quoi qu’on me dise, je déclare, moi, que je ne vois pas en eux des cultivateurs, mais bien des spéculateurs avides et dangereux dans un État libre.

« L’Assemblée Constituante a fait, à leur égard, ce que faisait un certain pêcheur qui, pour ne pas dépeupler la rivière, y rejetait tous les gros brochets qu’il trouvait dans ses filets. Elle oublia, ce que j’ai dit déjà, que le système des économistes tendait à assurer le gouvernement despotique en favorisant l’aristocratie des richesses. Elle oublia surtout ce qu’elle n’eût jamais dû perdre de vue, que cette erreur des Romains commença la perte de la République. Ils honorèrent aussi l’agriculture, mais ils ne considérèrent point celui qui s’occupait uniquement à cultiver les terres.

« Et vous aussi, vous encouragerez l’agriculture, cette source féconde de toutes les richesses ; vous accorderez au cultivateur une sorte de faveur particulière dans la protection que la loi doit à tous, mais vous vous garderez doute, de prendre pour un agriculteur magnifique ce fermier qui réunit assez de fermes pour occuper quinze ou vingt familles ; qui, monté superbement, courant de plaisir en plaisir, gage un commis pour faire ses affaires, et laisse le soin de cultiver ses terres à ce qu’il appelle un maître-valet ; cet homme insatiable, dont la fortune s’accroît chaque jour aux dépens de la misère publique, et dont la compagne, couverte de diamants et de dentelles, vient enlever sur nos marchés les provisions qu’elle devrait y apporter en abondance.

« Citoyens mes collègues, les trop grandes exploitations nuisent essentiellement au bonheur de la société, elles nuisent à la bonne culture ; car indépendamment des opérations précipitées qu’elles nécessitent, lorsque l’œil du maître ne peut embrasser l’ensemble des travaux, il y en a toujours un