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dans la vente des biens nationaux, dans l’émission constante des assignats gagés par un domaine immense, remuait des milliards, toutes les pensées, tous les calculs s’élargissaient. C’est le vent de la Révolution qui a porté l’esprit de l’homme dans la haute mer ; et ceux-là mêmes qui, comme Fourier, la renieront à demi sont entraînés et soulevés par son vaste flot. C’est cette force et cette abondance révolutionnaires qui, dès 1792, donnent à la source même du fouriérisme l’ampleur du plus grand des fleuves. Sans doute, avec L’Ange, ce n’est pas encore le phalanstère, toute la vie de l’homme n’est pas prise dans les cercles enchantés et mobiles de l’association, dans ses souples et libres anneaux s’enroulant et se déroulant au soleil. Mais déjà le magasin d’approvisionnement est bien l’ébauche du phalanstère, le premier centre et le point d’appui de l’association universelle. Dans ce grenier logeront le pourvoyeur et ses hommes. Ainsi commence à s’annoncer la vie en commun. De plus, là, sera un centre d’assurance et de crédit. La Compagnie dont tous ces magasins seront les libres succursales, ou mieux les sections coopératives, assurera les cultivateurs contre tous les risques, et elle leur fera des avances ; par là, L’Ange le dit expressément, elle interviendra dans la direction de la production pour en susciter et en encourager les progrès. Centre d’approvisionnement, centre de vie, centre d’assurance, centre de crédit, centre de production et de progrès : comme ce germe, né de la seule question des subsistances, s’émeut, se subdivise en feuilles multiples, s’épanouit en promesses variées !

Sous le vivant contrôle de ces groupements harmonieux, toutes les richesses vont s’ordonner et s’accroître, et la face même du pays sera transformée ; c’est la transfiguration fouriériste de la terre qui commence.

« Alors les propriétés seront bien gardées. Alors les dépenses pour les ponts et chaussées seront vraiment profitables à la nation. Alors les chemins seront toujours beaux, les rivières et les canaux seront toujours navigables à toute charge ; dans peu de temps les lits des rivières seront des bornes insurmontables, les marais seront desséchés, les terres arides bientôt abreuvées ; même les eaux des torrents seront contraintes bientôt à circuler doucement par des prairies nouvelles ; en un mot, du jour au lendemain, nous verrons la France devenir un paradis terrestre ; car ce prodige d’amélioration générale naîtra nécessairement avec ces fortunes particulières que chacun des membres de la Compagnie aura l’occasion de faire et fera nécessairement. »

C’est comme une prairie immense et douce qui se déroule toute foisonnante de richesses et de forces ; la terre inégale et chaude de la Révolution se revêt d’abondance, de douceur et de joie, et les plus hautes herbes, les fleurs les plus éclatantes et les plus riches se font pardonner leur richesse et leur éclat par la prodigalité des germes qu’elles abandonnent au souffle égal et pur qui partout les dissémine.

Mais quoi ! Est-ce seulement la production agricole que les centres