quement les habitants des contrées agricoles payeront de deux millions moins cher les huiles, les vins et toutes les matières dont ils font un usage journalier. Alors, les établissements des manufactures n’arracheraient plus des champs les bras si précieux à l’agriculture. Ils peupleraient les campagnes désertes, car on n’y vivrait pas plus chèrement que dans les campagnes qui récoltent les plus riches moissons. »
C’est donc un plan très précis, et dont il a étudié le détail, que L’Ange propose à la Révolution. Tous les éléments de la pensée fouriériste y apparaissent : le capitalisme ordonné et organisé, le collectivisme, la coopération, la mutualité et le « garantisme ». La combinaison de L’Ange est capitaliste puisque c’est sur la constitution d’un capital-actions de dix-huit cent millions qu’elle repose. Elle est collectiviste, puisque c’est « le pouvoir législatif » qui prend l’initiative de la souscription, puisque c’est lui qui règle la construction sur un plan uniforme des trente mille greniers et qui donne force légale aux transactions intervenues entre les associations d’approvisionnement et les cultivateurs. Elle est coopérative et « garantiste » puisque chacun de ces greniers est librement administré par les cent familles dont il est le centre, et puisque ces trente-six mille associations, qu’elles assurent les cultivateurs contre les risques, se garantissent les unes aux autres, par la répartition fraternelle des frais de transport, l’uniformité des prix. À vrai dire, en ces heures tragiques de la fin de 1792 où la nation luttait pour sa liberté et pour sa vie, L’Ange ne pouvait pas l’écarter des combinaisons vitales par lesquelles l’approvisionnement de tous serait assuré. Mais surtout collectivisme et coopération se pénètrent et se confondent nécessairement, là où la collectivité se régit elle-même démocratiquement, et où la coopération a une extrême ampleur. Quand la communauté nationale se gouverne elle-même par le suffrage universel, les divers groupes d’intérêts compris dans le grand intérêt national sont administrés par des groupes de volontés ; et le collectivisme se diversifie en coopération. Et réciproquement, quand la coopération se propose, comme dans le système de L’Ange, de régler des intérêts universels communs à tous les citoyens, elle prend la forme d’un organisme national, et à la limite se confond avec la nation elle-même. De là, dans la pensée de L’Ange, cette riche combinaison d’éléments et d’idées que l’on pourrait appeler ou la coopération collectiviste ou le collectivisme coopératif.
Mais quel prodigieux élan la démocratie et la Révolution donnent aux esprits ! C’est d’un nid ardent et frémissant, secoué aux vents chauds de l’orage, que s’envolent les pensées et les rêves ; et dès l’origine, le grand frisson de la vie collective soulève les prétendues « utopies ». Comment L’Ange aurait-il songé à proposer une émission de un milliard huit cent millions sans les grandes audaces financières de la Révolution ? Jamais sous l’ancien régime un financier n’osa proposer des emprunts de cette envergure. Mais parce que la Révolution,