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ruiner les uns les autres quand il suffisait d’ouvrir à tous le système de l’association pour que tous fussent heureux et bons.

« Oui, dit-il à tous ceux dont il vient d’éveiller l’espérance, oui, vous le souhaitez ; eh bien ! il est facile de vous satisfaire. Cessez seulement de vous abuser. Cessez de compter sur les moyens et les volontés des particuliers, même sur les volontés et les moyens du gouvernement et des administrations. Ouvrez enfin les yeux et voyez combien les premiers sont abusifs et précaires, combien les autres sont faibles, onéreux, dangereux, perfides ; mais détournez vos regards avec indignation de toute compagnie ou régie financière, telle qu’un abbé seul a pu l’imaginer sous Louis XV. »

Ainsi, en un merveilleux effort de pensée, L’Ange rejette à la fois l’ancien régime et la Révolution. L’ancien régime ne connaissait la grande action économique que sous la forme de compagnies privilégiées, investies par l’arbitraire du pouvoir de monopoles oppresseurs. Et la Révolution, défiante à l’égard des associations, semblait ne connaître que l’État et les individus. Le pré-fouriériste lyonnais repousse tout ensemble les compagnies privilégiées, l’action purement individuelle et l’action administrative. Il fait appel au-dessus de la Révolution, à une force toute neuve, à la force de la vaste association libre.

Vaste, ou plutôt immense. Car pourquoi, puisqu’elle fera du bien à toute la nation, ne comprendrait-elle pas en fait toute la nation ? Et comment, si elle ne s’étend pas à tous les citoyens, si elle n’est point universelle, pourrait-elle conjurer la crise universelle des prix et assurer en toutes les régions le niveau uniforme et rationnel des cours des denrées et de la main-d’œuvre que L’Ange a prévu ?

« S’il faut un concours, une association d’hommes capables d’introduire et de fixer l’abondance jusque dans la plus petite cabane, si la félicité du peuple ne peut naître et subsister que par les intérêts d’une compagnie, il faut la créer cette compagnie, et la former sans délai ; mais tout à coup si grande qu’elle ne puisse avoir besoin de privilège exclusif et que le monopole ou l’accaparement ne puisse offrir aucun profit à personne ; il faut en même temps l’amalgamer avec la nation et la distribuer si bien qu’elle ne puisse engendrer aucun abus. Voici comment je la conçois. Daignez m’entendre.

« Le pouvoir législatif ouvrira une souscription d’un million dix-huit cent mille actions de mille livres chacune ; ce qui fera la somme d’un milliard huit cent millions de livres.

« Cette somme sera divisée en trente mille parties égales ; chacune sera en conséquence de soixante actions, subdivisibles si l’on veut.

« Ces soixante actions serviront de fonds pour approvisionner de blés, de farines et légumes cent familles, pour deux ans ; lesquelles cent familles auront un grenier d’abondance en commun à leur charge et pour la commodité de leur usage.

« Il y aura par conséquent trente mille greniers d’abondance régulière-