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devant vous comme magistrat du peuple. Ce ne sont pas des amis du peuple qui viennent vous faire de semblables propositions et vous proposer un tribunal inquisitorial. Je crois aussi avoir le droit de parler au nom du peuple dont je me suis montré plus d’une fois l’ami, en défendant ses libertés. Mais je veux qu’on l’éclaire et non qu’on le flatte. Vous aviez fait une proclamation ; elle doit être suffisante ; et si l’on ne veut pas obéir à vos décrets, il n’est pas nécessaire que vous en fassiez. Ce n’est pas user du droit de pétition, c’est en abuser que de s’arroger le droit de vous dicter des lois. Je m’opposerai constamment à la formation d’un tribunal qui disposerait arbitrairement de la vie des citoyens, et j’espère que l’Assemblée partagera mon sentiment à cet égard. »

Choudieu allait bien loin, puisqu’il s’opposait, en cette crise extraordinaire, à tout tribunal de Révolution. Visiblement la Commune, par ses interventions réitérées et impérieuses, avait irrité même les démocrates d’extrême gauche de l’Assemblée ; et c’est la Montagne qui ose la première résister nettement à la Commune révolutionnaire. Un autre montagnard, Thuriot, protesta contre ces prétentions dominatrices et surtout, effrayé pour la Révolution de l’obsession de vengeance et de sang qui semblait la hanter depuis le Dix Août, il le rappela en quelques paroles sublimes à son haut esprit d’humanité.

« Il ne faut pas que quelques hommes qui ne connaissent pas les vrais principes, qui ne connaissent pas la loi, qui n’ont pas étudié la Constitution, viennent substituer ici leur volonté particulière à la volonté générale. Il faut que tous les habitants de Paris sachent que nous ne devons pas concentrer tout notre intérêt dans les murs de Paris. Il faut qu’il n’y ait pas un acte du Corps législatif qui ne porte le cachet de l’intérêt général, de l’amour de la loi. Puisque dans ce moment on cherche à vous persuader qu’il se prépare un mouvement, une nouvelle insurrection ; puisque dans ce moment où l’on devrait sentir que le besoin le plus pressant est celui de la réunion, on cherche encore à agiter le peuple, je demande que le Corps législatif se montre décidé à mourir plutôt qu’à souffrir la moindre atteinte à la loi, et décrète qu’il sera envoyé des commissaires dans les sections pour les rappeler au respect de la loi. Il ne faut pas de magistrats qui cèdent à la première impulsion du peuple lorsqu’on le trompe. Il faut des magistrats que le feu sacré de l’amour de la patrie embrase, qu’anime le saint respect de la loi. J’aime la liberté ; j’aime la Révolution ; mais s’il fallait un crime pour rassurer, j’aimerais mieux me poignarder. Nous n’avons qu’une mesure à prendre, c’est de nous rallier, c’est de présenter partout l’amour de la loi, l’amour du bien public. La Révolution n’est pas seulement pour la France : nous en sommes comptables à l’humanité. Il faut qu’un jour tous les peuples puissent bénir la Révolution française. »

Admirables paroles d’un grand cœur ! C’est une joie et un réconfort