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fécondité du sol s’arrête. Au contraire, les prolétaires exercent et doivent exercer une occupation permanente : premier titre de propriété. En outre, si l’on conçoit la disparition possible des propriétaires fainéants, l’existence des travailleurs est nécessaire. Elle doit donc être nécessairement entretenue par les produits du sol, et les propriétaires ne peuvent commencer à percevoir le produit net que quand l’existence des travailleurs est assurée. Ceux-ci ont donc au moins déjà la copropriété de la terre et même, dans cette copropriété, la primauté. Et enfin, comme ce droit de copropriété ils sont les seuls à le faire valoir, comme seuls ils donnent fécondité et valeur à toute propriété, comme « ils créent seuls le revenu », leur droit de copropriété devient un droit de propriété exclusive, et le prélèvement que fait le pseudo-propriétaire est « un brigandage ». La propriété oisive, c’est le vol.

Et ce brigandage flétrit la royauté elle-même ; car lorsque le roi accepte des propriétaires fainéants, c’est-à-dire des brigands, les sommes nécessaires à son entretien, à l’entretien de ses armées et de sa justice, il accepte en réalité une part du produit du vol. Que cette complicité de la royauté avec les brigands prenne fin, pour l’honneur de la royauté et pour le bien du peuple.

Seuls, les travailleurs qui créent la richesse ont le droit d’en donner une part, et voici l’offre qu’au nom des prolétaires L’Ange fait au roi. Tous les fainéants seront expropriés du produit net de la terre, de ce que L’Ange appelle « l’abondance », et ce produit net sera partagé par moitié entre le peuple producteur et le roi. Au roi, il permettra d’assurer les grands services publics ; au peuple, il permettra d’assurer l’éducation des générations nouvelles.

« Rejetez donc, Sire, les vingt-cinq millions de votre liste civile, la solde de vos armées, le gage de votre justice que vous offrent leurs mains impures et daignez vous rendre dispensateur équitable de toute la moitié de l’abondance, ne nous réservant l’autre moitié que pour élever nos enfants, de manière qu’il ne soit plus dit que nous sommes un peuple sans éducation. Sire, il est digne, il est du devoir de Votre Majesté d’accepter cette proposition équitable et juste que nous avons évidemment le droit de faire et la force de soutenir. »

C’est l’expropriation révolutionnaire de toute la propriété foncière, ecclésiastique, noble et bourgeoise, opérée de compte à demi par les prolétaires et par la royauté. C’est le socialisme de 1790, socialisme mêlé d’utopie et de démocratie. Il est utopique par l’attente du héros philanthrope et du sauveur ; il est utopique par l’appel au roi. Il est vague en ce qui concerne l’industrie ; car si L’Ange, artisan lui-même et vivant parmi les artisans et manœuvres innombrables de la ville de Lyon, ne peut oublier le problème industriel, s’il parle de l’industrie en général, il semble pourtant que le partage de « l’abondance » ne s’applique avec précision qu’au produit net de la