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Ah ! si les jeûnes, si les privations donnaient le droit de citoyen, qui, plus que nous, pourrait y prétendre ? Mais l’impôt n’a d’autre base que l’industrie en général, et personne ne le paye qu’en le butinant sur nous, artistes, artisans et manœuvres. Voyez, Sire, le produit net d’une terre, premier résultat de notre industrie et de nos peines ; quand l’administration y lève un impôt direct, que fait-elle ? Elle entre avec les vendeurs en partage de la vente. Elle partage avec eux la rançon de nos besoins, et, comme si les affermeurs et les vendeurs ne suffisaient pas à nous rançonner, on leur ajoute d’impitoyables aides : et ces monstres naissent, respirent parmi nous, pour lever directement des impôts indirects sur notre consommation forcée des choses qui n’existent, qui ne sont utiles, qui n’ont de valeur que par le travail de nos mains. »

Ainsi, c’est le travail des sans-propriété qui crée toutes les valeurs et tout le produit net de la terre. Ce produit net, les travailleurs l’abandonnent aux propriétaires oisifs : c’est « la rançon de leurs besoins », c’est-à-dire le prix qu’ils sont obligés de payer aux possédants pour trouver l’emploi de leurs bras et les moyens de vivre. Et lorsque l’administration de l’impôt prélève sur le propriétaire une part de ce produit net, en réalité elle ne charge pas le propriétaire qui, n’ayant rien produit, n’a droit à rien. Elle s’associe simplement au partage des dépouilles prélevées par la violence sur le travail : elle prend une part du butin propriétaire. Et voici maintenant que l’impôt indirect, en aggravant le prix des produits créés par le travailleur et qu’il est obligé de racheter, entame encore ce que le propriétaire avait laissé aux salariés. Tout est donc pris sur le travail, l’impôt comme la rente de la terre, et l’impôt direct comme l’impôt indirect. Ainsi, si ceux qui payent l’impôt devaient avoir seuls le droit politique, les travailleurs seuls devraient être des citoyens actifs.

« Enfin la vérité qui nous éclaire perce le voile ridicule des propriétés dont s’enveloppent nos ennemis avec l’impudent orgueil de l’oisiveté. L’or dont ils se targuent n’est utile et salutaire qu’entre nos mains laborieuses ; il devient virulent quand il s’accumule dans les coffres des capitalistes, qui sont aux corps politiques ce que les ulcères sont aux corps physiques. Partout, Sire, où Votre Majesté portera ses regards, elle ne verra la terre occupée que par nous ; c’est nous qui travaillons, qui sommes les premiers possesseurs, les premiers et derniers occupants effectifs. Les fainéants qui se disent propriétaires ne peuvent recueillir que l’excédent de notre subsistance  ; cela prouve du moins notre copropriété. Mais si, naturellement, nous sommes copropriétaires et l’unique cause de tout revenu, le droit de borner notre subsistance et de nous priver du surplus est un droit de brigand. »

C’est l’attaque la plus véhémente, la plus brutale et la plus nette qui ait été dirigée, avant Proudhon, contre la propriété. Ce n’est pas une boutade comme le mot de Brissot, c’est toute une théorie. En fait, les travailleurs occupent la terre : ils sont les seuls qui l’occupent d’une manière continue. « Le fainéant qui se dit propriétaire » peut s’absenter sans que la